Les années folles
sans
même lui en avoir parlé, de mettre fin à leurs projets d’avenir ? Elle
avait peut-être exagéré…
– Il
manquerait plus que ça ! se dit-elle à mi-voix, alarmée à l’idée de devoir
retourner à l’orphelinat avec sa petite valise en carton brun renforcé pour
être la servante des religieuses pendant encore deux ans.
Jamais
un dimanche après-midi ne lui sembla aussi long. Quand elle termina le lavage
de la vaisselle du souper, au presbytère, la jeune fille était en proie à une
affreuse migraine tant elle était énervée. À son
retour à la maison, elle demanda à sa logeuse :
– Madame
Cournoyer, j’ai mal à la tête. Il reste encore une heure avant que Germain
arrive. Si ça vous fait rien, je vais aller m’étendre sur mon lit. Voulez-vous
me réveiller quand il arrivera ?
– Vas-y,
accepta la servante du curé. Je viendrai te réveiller.
La
jeune cuisinière monta à sa chambre et se coucha tout habillée. Comme elle
avait mal dormi la nuit précédente, elle tomba immédiatement dans un profond
sommeil. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle eut l’impression qu’elle venait de s’endormir.
Pourtant, tout était sombre autour d’elle. Quelle heure était-il donc ?
Gabrielle se leva
précipitamment et descendit l’escalier. Elle arriva dans la cuisine au moment
où Agathe Cournoyer s’apprêtait à aller se coucher. La vieille dame, vêtue d’une
épaisse robe de chambre, venait de déposer son éternel tricot.
– Quelle
heure il est, madame Cournoyer ? fit Gabrielle en tentant de déchiffrer l’heure
à l’horloge.
– Un peu plus
que dix heures du soir.
– Vous m’avez
pas réveillée ? demanda l’orpheline sur un ton accusateur.
– J’ai pas eu
à te réveiller, ma fille, parce qu’il est pas venu.
– Il est pas
venu ? répéta Gabrielle, comme si elle n’en croyait pas ses oreilles.
– Je te l’avais
dit, Gabrielle, que t’avais peut-être tiré un peu trop fort sur la corde, la
semaine passée. Un homme a sa fierté, même quand il est en amour.
La jeune fille se laissa choir sur une chaise et se mit à pleurer
doucement. Agathe Cournoyer se rassit dans sa chaise berçante sans dire un mot
de plus et la laissa pleurer tout son saoul.
– On doit se
marier dans deux mois, dit-elle entre deux hoquets. On vient juste de se
fiancer, ajouta-t-elle, un instant plus tard. Il y a sûrement quelque chose qu’on
peut faire.
– Peut-être.
– Quoi, madame
Cournoyer ?
– Peut-être
que si tu lui écrivais une petite lettre d’amour, suggéra la vieille dame. On
sait jamais. Ça pourrait peut-être arranger les choses. Tu pourrais la donner à
Philibert Dionne pour qu’il la laisse demain matin chez Germain.
– Vous pensez
que ça pourrait marcher ?
– C’est
possible. En tout cas, ça te coûte rien d’essayer. Bon, moi, je monte me coucher.
Je suis fatiguée, déclara la vieille dame en se levant avec difficulté de son
siège.
Lorsqu’elle
se retrouva seule, Gabrielle Paré monta à sa chambre à son tour, résolue à
écrire une brève lettre d’excuses à son fiancé. Elle termina sa missive par un « Je
t’aime » suivi de quelques « X ». En
cachetant l’enveloppe, elle se promit néanmoins de lui faire payer chèrement l’humiliation
qu’il lui imposait.
Le lundi matin, le
postier se chargea de laisser la lettre chez Germain Fournier, qui la découvrit
à l’heure du dîner en venant vider sa boîte aux lettres. Le jeune cultivateur
la lut et la relut plusieurs fois pour se convaincre que son auteure regrettait
son comportement de la semaine précédente. Cependant, il ne commit pas la
bêtise de se précipiter au village le jour même pour voir Gabrielle. Même si sa
lettre l’invitait à venir la voir le plus tôt possible et même s’il en avait
une folle envie, il sut se contraindre à ne pas bouger de chez lui. Il décida
de s’en tenir aux règles qu’elle lui avait imposées, soit deux visites
hebdomadaires, les samedis et dimanches soirs.
Après mûre
réflexion, le jeune homme détacha une feuille d’un vieux cahier et écrivit
quelques mots à sa Gabrielle de son écriture malhabile. Il lui expliqua qu’il
serait bien allé la voir cette semaine, mais qu’il avait entrepris un grand
ménage de la maison, ménage qu’il ne pouvait faire qu’après le souper puisqu’il
était occupé à ses labours de printemps durant le jour. Peu habitué à écrire, Germain
trouva
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