Les années folles
messe.
– C’est ben
de valeur, mais on peut rien y faire, fit Eugène, qui avait du mal à cacher sa
satisfaction. J’ai pas encore appris à nager à nos chevaux.
– T’es bien
drôle, Eugène Tremblay, fit sa femme en lui jetant un regard meurtrier. Mais
comme on peut pas aller à la messe, on va la remplacer par la prière et un chapelet.
– Après le
déjeuner, j’espère, demanda Gérald.
– Non, avant.
On va juste prendre le temps de se changer pour pas salir notre linge du
dimanche avant de se mettre à genoux sur le plancher de la cuisine.
Il y eut des
murmures de mécontentement chez les jeunes.
– Je vais
aller dételer, dit immédiatement Clément en endossant son manteau. En plus, il
va ben falloir nettoyer un peu le boghei, il doit être crotté jusqu’à la capote.
– Laisse
faire, je vais y aller, fit Gérald, prêt à retourner à l’extérieur pour s’occuper
de l’attelage.
– Non, toi, tu
vas te changer, lui ordonna sa mère. Tu vas tout te salir en dételant. Laisse
faire ton frère.
Les
enfants de Thérèse Tremblay se dirigèrent vers l’escalier pour monter à leur
chambre.
– Je pense
que ça aurait été moins long d’aller à la basse-messe, murmura Gérald à sa sœur
Aline avant d’entrer dans sa chambre.
– En tout cas,
à l’église, on est moins longtemps à genoux, renchérit l’adolescente, aussi
mécontente que son frère.
Les
Tremblay entendirent un bruit sur la route et Eugène se pencha pour regarder
par la fenêtre.
– On dirait
qu’on sera pas les seuls à pas pouvoir aller au village à matin, déclara-t-il à
sa femme. Je viens de voir le boghei de l’air bête d’à côté revenir.
– En tout cas,
j’ai bien peur que cette pluie-là veuille dire la fin des sucres, se désola
Thérèse en ne relevant pas l’insulte adressée au voisin. Tu peux être certain
qu’il va y avoir une montée de sève et l’eau d’érable dans les chaudières va
être juste bonne à jeter demain matin.
Bref,
ce dimanche de Pâques 1923 fut une journée assez triste et la pluie ne cessa qu’au
milieu de la nuit suivante. L’unique raison de se réjouir fut, bien sûr, la fin
du carême. Cette journée marquait la fin de toutes les résolutions prises
quarante jours plus tôt. Dans la plupart des foyers, les desserts réapparurent
sur les tables pour le plus grand plaisir des gourmands. Pour un bon nombre de
paroissiens de Saint-Jacques-de-la-Rive, empêchés d’aller à l’église en ce
dimanche de Pâques à cause des routes devenues de véritables bourbiers, la
possibilité de se sucrer le bec, de fumer ou de boire un peu d’alcool était une
consolation appréciable.
Dans le rang
Sainte-Marie, Germain Fournier fut le seul à se risquer à traverser la mare qui
s’était formée près de chez les Tougas. Au risque de briser son boghei et de
blesser sérieusement son cheval, il s’entêta à passer. Il parvint à se rendre
au village même si, à certains endroits, sa voiture eut de l’eau presque à la
hauteur des moyeux de ses roues. Cent fois, il faillit s’embourber, mais il
parvint à franchir tous les obstacles.
Cinq minutes avant que le curé Lussier ne commence à célébrer la
grand-messe, le jeune cultivateur se glissa près de Gabrielle dans l’église. L’orpheline
tourna à peine la tête à son arrivée, apparemment trop occupée à prier, inconsciente
des risques que venait de prendre son nouveau fiancé.
Chapitre 22
Crise au presbytère
La
dernière semaine d’avril allait vite faire oublier la pluie qui avait marqué le
jour de Pâques. Le soleil se mit à luire et il parvint peu à peu à assécher la
route et les champs. Les journées allongèrent et les premiers bourgeons
apparurent aux branches. En moins de deux semaines, toute trace de neige était
disparue du paysage.
Après avoir rangé
les seaux et les chalumeaux, les cultivateurs s’étaient empressés de fermer
pour la saison leur cabane à sucre dorénavant inutile. D’autres tâches plus
urgentes réclamaient leurs soins. Quand l’herbe se mit à verdir dans les champs,
ils consacrèrent plusieurs jours à vérifier et à consolider les piquets des clôtures
qui ceinturaient leurs terres. Dès le début de l’avant-midi, on les voyait se déplacer
dans les champs, ne s’éloignant guère de la charrette dans laquelle ils avaient
déposé une masse, des piquets de cèdre et des rouleaux de fil de fer barbelé. Certains
fermiers avaient déjà
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