Les années folles
coupait
les cheveux de l’adolescente, Céline ne ratait pas un de ses gestes pour s’assurer
qu’elle n’enlevait pas trop de cheveux. Mais la jeune fille s’inquiétait pour
rien. Après un premier mouvement de colère, sa mère avait déjà accepté l’irréparable
et elle ne tentait que de rendre ses filles plus présentables.
Rassurée, Céline
prit la place de sa sœur sur le tabouret pendant qu’Anne allait se regarder
dans le miroir. Après l’opération, les deux sœurs durent convenir que leur mère
avait parfaitement réussi à leur faire une coupe à la mode.
– Merci, m’man,
dirent-elles presque simultanément. Vous nous avez fait une vraie belle coupe.
– Ça vous
fait des têtes de garçon, constata Yvette Veilleux en examinant ses deux filles.
Mon Dieu que c’est de valeur que vous ayez coupé vos cheveux ! Ils étaient
tellement beaux. Maintenant, on dirait qu’on ne voit plus dans votre visage que
vos tache s de rousseur.
Finalement,
cette dernière remarque de leur mère troubla bien plus Céline et Anne que la
colère de leur père. Durant tout le reste de la journée, les deux sœurs ne cessèrent
de s’examiner en catimini chaque fois qu’elles passaient devant le petit miroir
suspendu au-dessus de l’évier de la cuisine.
– D’après toi,
est-ce que c’est vrai qu’on voit plus nos tache s de
rouille, comme m’man l’a dit ? demanda Anne à son aînée au moment de se
mettre au lit, ce soir-là.
– Je pense
pas, répondit Céline d’une voix mal assurée. De toute façon, l’été est fini. Tu
sais comme moi qu’elles vont pâlir durant l’hiver.
Chapitre 7
Entre voisins
Déja,
il ne restait pratiquement plus aucune feuille dans les arbres. Brunes et
racornies, elles jonchaient le sol et venaient s’entasser au pied des murs des bât iments. La mi-octobre était arrivée avec
son cortège de pluie et de vent. Les derniers champs avaient été labourés de
peine et misère à cause du sol détrempé. Le ciel encombré de lourds nuages n’était
plus traversé que par des vols d’outardes en route vers le sud.
Dans le rang
Sainte-Marie, toutes les ménagères avaient maintenant emménagé dans leur
cuisine d’hiver et la saison des marinades et des confitures était terminée. La
plupart d’entre elles s’étaient lancées dans le ménage d’automne et préparaient
la visite annuelle du curé Lussier qui allait entreprendre sa tournée des
foyers de la paroisse dans quelques jours.
La veille, Thérèse
Tremblay avait décidé d’effectuer une vérification générale de toute la literie
de la maison et elle avait conclu qu’il était temps de rembourrer tous les
matelas et certains oreillers.
Ce mardi matin-là,
une forte averse tombait et rien ne laisser présager qu’elle prendrait
rapidement fin. Eugène, en train de distribuer du foin dans les mangeoires, sursauta
en voyant apparaître Claire, son aînée, près de lui. Gérald, son fils de seize
ans, était en train de faire entrer la quinzaine de vaches que son jeune frère
Lionel était allé chercher en pataugeant dans le champ.
– P’ pa, m’man te fait dire que Clément a une
bonne grippe ce matin. Elle aimerait mieux qu’il reste couché.
– C’est
correct, fit son père. À trois, on est ben assez pour faire l’ouvrage. Dis à
ton frère de rester couché.
À
la maison, le jeune homme regrettait déjà d’avoir dit à sa mère qu’il avait la
grippe. Thérèse Tremblay n’avait pas perdu une minute à s’apitoyer sur son sort.
Immédiatement, la bouteille de sirop à base de gomme d’épinette, l’huile camphrée chaude et les mouches de moutarde avaient fait
leur apparition dans la petite chambre bleue de l’étage, répandant des effluves
qui lui levaient le cœur.
– Mais m’man,
vous allez finir par m’achever avec toutes ces cochonneries-là, se plaignit
Clément entre deux quintes de toux qui lui arrachèrent la gorge.
– T’as pas le
choix si tu veux guérir, répliqua sa mère. Arrête de faire le feluette et
prends ça, lui ordonna-t-elle en lui tendant une cuillère à soupe remplie d’un
liquide amer.
– Ouach !
Mais c’est ben méchant cette affaire-là, fit le malade en réprimant une folle
envie de régurgiter ce qu’il avait en bouche.
– Avale !
L’ordre
fit aussitôt effet.
– Ça
a vingt ans et c’est pire qu’un enfant de deux ans à soigner. Je plains la
pauvre femme qui va te marier, toi. À cette heure, il
Weitere Kostenlose Bücher