Les années folles
leurs parents. Céline
rapporta la lampe à huile sur le guéridon pendant que sa jeune sœur se
réfugiait frileusement sous les couvertures.
Le
lendemain matin, Yvette Veilleux dut élever la voix pour inciter ses filles à
descendre plus vite pour l’aider.
– Sainte
bénite ! Allez-vous finir par descendre, s’emporta-t-elle après un second
appel. Dépêchez-vous. Votre père est à la veille de revenir de faire le train
et les poules ont pas encore été nourries.
Il y eut un bruit
de discussion en haut de l’escalier avant que Céline descende la première dans
la cuisine. Sa mère, occupée à préparer la pâte à crêpes, ne tourna même pas la
tête à son arrivée dans la pièce.
– Je te dis
que ça fait drôle d’avoir à s’habituer à la cuisine d’hiver, dit-elle plus à
elle-même qu’à sa fille. Mais c’est bien plus confortable et le poêle tire bien
mieux. Qu’est-ce que t’avais ?
En
tournant la tête, Yvette aperçut sa fille de vingt ans et, de stupéfaction, faillit
échapper le bol dans lequel elle finissait de mélanger les ingrédients.
– Mon Dieu !
Qu’est-ce qui est arrivé à tes cheveux ? demanda-t-elle en s’approchant de
sa fille, comme pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas.
– Je les ai
coupés, m’man, pour être à la mode.
Yvette
attrapa sa fille par une épaule et la fit tourner sur elle-même pour mieux
constater l’ampleur des dégâts.
– Mais à quoi
t’as pensé de faire une niaiserie pareille ? Ils sont tout écharognés !
T’es-tu regardée dans un miroir ?
C’ est ce moment-là que sa fille Anne choisit pour
apparaître à son tour dans la cuisine.
– As-tu vu ce
que ta sœur a fait à… ?
Yvette Veilleux
fut tellement surprise en voyant la tête de l’adolescente que, pour la seconde
fois, sa question demeura en suspens.
– Dis-moi pas
que toi aussi, t’as fait la même bêtise ! s’exclama-t-elle. Ma parole, vous
êtes devenues folles, toutes les deux !
– M’man, c’est
pas la fin du monde, voulut argumenter Anne. C’est juste une coupe de cheveux à
la mode. On était fatiguées de passer des heures à brosser nos cheveux et à les
friser. Ça va être bien plus simple.
– Attendez de
voir ce que votre père va en dire, vous autres ! Vous allez voir si ça va
être aussi simple que ça ! les menaça Yvette. Puis, comptez pas sur moi
pour vous défendre. Vous le saviez qu’il voulait pas que vous touchiez à vos
cheveux. On va avoir droit à toute une crise, je vous le garantis.
– Mais m’man,
on a tué personne, fit remarquer Céline, beaucoup plus pour se rassurer que
pour convaincre sa mère.
– Puis
pendant que j’y pense, avec quoi vous avez coupé vos cheveux ? J’espère
que c’est pas avec mes ciseaux neufs. Si vous avez gâché mes ciseaux, mes
petites bonyennes…
– Bien non, m’man,
on a fait attention, répondit Anne qui avait dissimulé les fameux ciseaux dans
la vaste poche de son tablier.
– Bon,
fit leur mère en poussant un soupir exaspéré. Anne, va relever les œufs dans le
poulailler et nourris les poules. Pendant ce temps-là, Céline va aller faire
les lits en haut. J’ai pas hâte de voir ce que votre père va faire quand il va
vous voir toutes les deux arrangées comme ça.
Moins
d’une demi-heure plus tard, Céline vit ses frères revenir vers la maison. Elle
aperçut aussi son père en train de sortir de l’étable les bidons de lait qu’il
aurait à transporter à la fromagerie après le déjeuner. Peu après, le
cultivateur pénétra à son tour dans la maison. Il était de mauvaise humeur
parce que l’une des vaches, un peu plus nerveuse que d’habitude, avait fait un
brusque écart et lui avait fait renverser une chaudière pleine de lait.
Jérôme, Léo, Jean-Paul
et Adrien virent tout de suite la nouvelle tête de leurs sœurs en entrant dans
la cuisine. Ils ouvrirent de grands yeux et grimacèrent pour marquer leur
étonnement, mais ils se gardèrent bien de faire la moindre remarque, attendant,
comme elles, l’explosion de leur père lorsqu’il les verrait.
Ce dernier alla s’asseoir
au bout de la table en affichant son air des mauvais jours et Céline, un peu
tremblante, s’empressa de venir lui verser une tasse de thé bouillant pendant
que sa femme lui tendait une assiette de crêpes.
– Jérôme, passe-moi
la mélasse, lui ordonna son père en tendant la main vers le pichet de mélasse.
L’adolescent
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