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Les années folles

Les années folles

Titel: Les années folles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel David
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marguillier.
    – C’est des
suppositions.
    – Tu sauras
me le dire, prédit Eugène.
    – En plus, tu
t’imagines peut-être que monsieur le curé a pas compris ton allusion pour la
dîme ?
    – Torrieu !
Je l’espère ben, s’exclama son mari. Pourquoi il exigerait que je la paye en
argent quand il a accepté que d’autres la payent en nature ?
    – C’est qui
les autres ?
    – Arsène
Boisvert et Ernest Veilleux.
    – T’as pas de
preuves de ça, le rembarra sa femme.
    – C’est là où
tu te trompes. Tous les deux ont payé leur dîme avec du bois de chauffage et le
curé l’a même dit au petit Tougas à qui il a demandé de corder tout ce bois-là.
    – En tout cas,
tout ça, c’est pas une raison pour manquer de respect à un prêtre, déclara
sévèrement Thérèse Tremblay. Si monsieur le curé a accepté ça, c’est qu’il
devait avoir des bonnes raisons.
    – Ben, voyons !
se moqua son mari.
    Toujours
d’aussi mauvaise humeur, la maîtresse de maison se dirigea vers sa chambre dont
la porte ouvrait au pied de l’escalier. La porte claqua dans son dos , mettant ainsi fin à la dispute.
    Pendant ce temps, à
l’extérieur, le curé Lussier dut donner un coup de coude au père Groleau pour
qu’il mette son attelage en marche. L’homme âgé de près de soixante-dix ans
semblait s’être assoupi en l’attendant.
    – Etes-vous
gelé, le père ? demanda le prêtre, un peu inquiet pour son cocher.
    – Non, pan … pantoute, balbutia le vieil homme.
    – Bon.
Tant mieux. On s’en retourne au presbytère. J’ai faim, ajouta le curé Lussier
en s’appuyant le plus confortablement possible au dossier étroit du siège du
boghei.
    Joseph
Groleau fit claquer les guides. La voiture légère sortit de la cour des Tremblay
et prit de la vitesse sur la route. Pendant que le prêtre essayait de calculer
combien de familles il aurait le temps de visiter dans le rang des Orties
durant l’après-midi, le cocher se rendormit sans que son passager s’en rende
compte. Le cheval, une bête un peu capricieuse, sembla prendre un réel plaisir
à trotter dans l’air froid de cet avant-midi de novembre. Les naseaux fumants, elle
prit de plus en plus de la vitesse.
    Un peu après avoir
dépassé la ferme des Tougas, la dernière ferme du rang, l’une des roues du
boghei fut prise dans une ornière et la voiture s’en trouva sérieusement
secouée.
    – Ralentissez,
le père ! l’adjura le curé Lussier, rappelé durement à la réalité par les
tressautements du boghei.
    Le
cocher ne broncha pas.
    – Ralentissez,
je vous dis ! lui cria le curé, subitement inquiet de constater que le
cheval allait de plus en plus vite sur une route en très mauvais état.
    Si
ce cri du prêtre ne fit pas sortir le conducteur de son sommeil d’ivrogne, il
sembla énerver la bête qui fit un brusque écart. Le hasard voulut que l’une des
roues de la voiture heurte alors une pierre sur le bord de la route. Le cheval,
sentant une résistance inattendue, broncha. À ce moment,
le boghei dévia en direction du fossé et la bête se cabra. La voiture tangua un
bref moment avant de se renverser l’instant d’après. Immédiatement, ses deux
passagers furent catapultés, cul par-dessus tête, dans le fossé. Surprise par l’allégement
soudain de sa charge, la bête partit au galop en tirant derrière elle le boghei
retombé sur ses roues.
    Durant un long
moment, il n’y eut aucune réaction chez les deux hommes étendus dans le fossé, à
une dizaine de pieds l’un de l’autre.
    Un peu plus loin, Emile
Tougas, qui revenait à pied du village, aperçut le cheval tirant le boghei
accidenté. Quand l’adolescent voulut s’en approcher, la bête accéléra et il ne
put la rejoindre. Ce n’est qu’après le virage, à quelques arpents de chez lui, qu’il
vit une forme noire étendue dans le fossé. Il s’en approcha
avec circonspection tout en demeurant sur la route. Il reconnut alors le curé
Lussier.
    À ce moment précis, le prêtre reprenait peu
à peu conscience. Il parvint à s’asseoir en gémissant et, étourdi, il regarda
autour de lui un bon moment avant de retrouver pleinement ses esprits. C’est
alors qu’il aperçut Emile Tougas qui le dévisageait, muet de stupéfaction.
    – Arrête de
me regarder comme un veau qui vient de retrouver sa mère, maugréa l’ecclésiastique
en grimaçant de douleur. Va chercher du secours ch ez vous , innocent ! Tu vois bien qu’on a

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