Les années folles
conduisit au village en
prenant garde que les cahots ne fassent pas trop souffrir le prêtre.
La chance servit
bien le curé de Saint-Jacques-de-la-Rive à son arrivée au village, puisqu’il
aperçut le docteur Courchesne sortant de chez les Boisvert au moment où l’attelage
de Tougas passait devant leur maison.
– Antonius, demande
donc au docteur de passer me voir tout de suite au presbytère, demanda-t-il au
conducteur. Explique-lui que j’ai eu un accident.
Tougas
descendit rapidement de voiture et expliqua rapidement la situation au vieux
médecin avant de remonter.
– Il
nous suit, monsieur le curé.
– Mon Dieu !
Qu’est-ce qui est arrivé ? s’écria Agathe Cournoyer quand elle vit son
curé, le front couvert de sang et supporté par Joseph Groleau et Antonius
Tougas, entrer dans le presbytère.
– Un accident
de voiture, expliqua le grand homme maigre, un peu essoufflé d’avoir à
supporter presque à lui seul le poids imposant du prêtre. Le docteur est
derrière. Il s’en vient.
– Installez-le
sur le divan dans le salon, dit la ménagère en retrouvant un peu de son
sang-froid.
– Où est l’abbé
Martel ? demanda le curé d’une voix blanche.
– Il vient de
traverser à la sacristie avec sœur Sainte-Sophie pour lui montrer les
réparations à faire à son aube.
Le bedeau et la ménagère aidèrent leur curé à retirer avec précaution
son épais manteau et on l’installa sur le divan avant de lui enlever ses
chaussures. Sa cheville gauche avait doublé de grosseur. Albéric Courchesne
entra au même moment dans la pièce et déposa sa trousse sur un guéridon.
– Merci, Antonius,
dit le curé au cultivateur qui lui était venu en aide. Vous, père Groleau, ajouta-t-il
en tournant un visage sévère vers son bedeau, attendez-moi à côté. Je vais
avoir deux mots à vous dire quand le docteur va en avoir fini avec moi.
Albéric
Courchesne ne perdit pas de temps. Quelques minutes lui suffirent pour refermer
la plaie au front de l’ecclésiastique et pour bander sa cheville et son épaule
blessées.
– Vous êtes
chanceux dans votre malchance, monsieur le curé, dit le vieux médecin au curé
Lussier dont le visage avait pris une teinte grisâtre inquiétante. Votre épaule
droite est démise. Je l’ai replacée. Vous pourrez pas vous servir de votre bras
pendant au moins deux semaines. Pour votre cheville, c’est une sévère entorse. Marchez
pas dessus. Attendez que ça guérisse. Je vous ai aussi fait quatre points de
suture au front. Je viendrai vous les enlever quand ce sera le temps. J’ai bien
l’impression que vous allez être obligé de vous laisser dorloter par votre
ménagère pendant un petit bout de temps.
Le
médecin quitta le presbytère après avoir poliment refusé de boire une tasse de
thé en compagnie de son malade. Antoine Lussier prit quelques minutes pour
récupérer avant de demander à sa ménagère de lui envoyer Joseph Groleau. Le bedeau
pénétra dans la pièce, la mine basse, maintenant passablement dégrisé. Le curé
le laissa mijoter dans son jus un bon moment, avant de lui
adresser sèchement la parole.
Après le dîner, vous
trouverez quelqu’un du village pour vous aider à retrouver notre cheval et ce
qui reste du boghei. Vous laisserez le boghei chez Crevier pour qu’il le répare
s’il est brisé et vous ramènerez le cheval.
– Oui, monsieur
le curé.
– J’espère
que vous vous rendez compte que tout ça, c’est dû à votre vice pour la boisson,
reprit le curé Lussier, l’air soudainement mauvais.
– Oui, monsieur
le curé.
– Vous auriez
pu nous tuer tous les deux.
– J’ai juste
voulu me réchauffer, monsieur le curé. J’ai pas bu pour le plaisir.
Soudain, le prêtre
revit en pensée la bouteille d’alcool éclatée dans le fossé et un doute l’effleura.
– Je sais que
vous aviez une bouteille de boisson dans la voiture.
– J’en
apporte toujours une, monsieur le curé, quand il commence à
faire froid. C’est au cas où… Mais j’y ai presque pas touché à matin, mentit
effrontément le bedeau.
– Si vous y
avez presque pas touché, est-ce que ça veut dire que les Tremblay vous avaient
offert de la boisson ?
– Oui, pour me réchauffer, admit le père
Groleau, sans préciser que la plus
grande quantité, il l’avait absorbée chez le cousin du curé.
Le visage du
prêtre s’assombrit subitement. Il n’était pas loin de croire qu’Eugène Tremblay
avait
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