Les années folles
fils avaient rangé leurs habits du
dimanche et remis leurs vêtements de travail après l’avoir vu passer tout droit
devant la maison. Il envoya devant ses deux fils, puis, fit signe au père
Groleau de le suivre dans la cuisine d’été par où ses deux garçons venaient d’entrer
dans la maison. Avant de se rendre au salon, Eugène tira d’une armoire une
bouteille verte et il versa dans un verre une bonne quantité de gin au bedeau
qui était pourtant déjà passablement imbibé.
– Tenez, le
père. Ça va vous réchauffer un peu, dit le cultivateur.
La
visite paroissiale aux Tremblay ressembla beaucoup a celle qu’avait reçue les
Veilleux, même s’il était évident que le maître de maison éprouvait des
sentiments mitigés a l’endroit de son pasteur. Depuis l’arrivée d’Antoine
Lussier dans la paroisse, Eugène examinait à la loupe le moindre geste de son
curé.
Ce dernier finit
par s’informer des amours de Clément et des projets de Claire.
– Tu
fréquentes toujours la petite Bourgeois de Saint-Gérard ? demanda-t-il au
jeune homme.
– Je vais la
voir de temps en temps, monsieur le curé, mais on peut pas dire que je la
fréquente. C’est plutôt une amie.
– Une
amie ? fit Antoine Lussier, avec un air de doute répandu sur toute sa
physionomie. Je crois pas à ça entre une fille et un garçon, moi. En tout cas, fais-lui
pas perdre son temps, mon garçon.
Clément ne dit
rien.
– Puis toi, Claire,
qu’est-ce que tu deviens ?
– Je suis
bien tranquille, monsieur le curé.
– Quand
est-ce que tu vas te marier ?
Avant même que la
célibataire ait eu le temps de répondre, son père intervint avec un rire bon
enfant un peu forcé.
– Whow !
monsieur le curé. Est-ce que vous essayez de nous ôter notre bât on de vieillesse ? Notre Claire est
une cuisinière et une ménagère dépareillée. Nous autres, on n’est pas pressés
pantoute de la voir partir de la maison.
– Il me
semble, Eugène, qu’il y a des hommes, pas plus loin que dans ton rang, qui
seraient bien contents d’avoir une femme comme ta fille.
– Ils ont
juste à se faire connaître, conclut le cultivateur. Je pense que ma fille est
capable de leur faire savoir s’ils lui conviennent ou pas.
– J’espère qu’elle
cherche pas la perfection, fit le curé qui ne lâchait pas prise aussi
facilement.
– Inquiétez-vous
pas pour ça, monsieur le curé, intervint Thérèse en dissimulant tant bien que
mal un sourire moqueur. Ça fait longtemps que je lui ai fait comprendre qu’il y
a pas un homme parfait sur la Terre.
La
mère de famille parla ensuite de sa fille Aline qu’elle et son mari avaient accepté
de faire instruire au couvent, au prix de grands sacrifices, en précisant
toutefois que c’était pour en faire une bonne institutrice. Le prêtre approuva
du bout des lèvres. Tous les paroissiens savaient bien qu’il préférait les
jeunes filles à la maison, aux côtés de leur mère, en train d’apprendre leur
métier de mère de famille chrétienne.
Après avoir
adressé quelques mots à Gérald et béni la famille, le curé Lussier se préparait
à quitter les lieux quand Eugène lui demanda, alors qu’il boutonnait son
manteau :
– Dites-moi, monsieur
le curé. Est-ce que c’est pas à la fin du mois que le mandat de marguillier de
Ludger Parenteau finit ?
– C’est bien
possible.
– Si c’est
pas indiscret, est-ce que je peux vous demander si vous avez une petite idée de
qui va le remplacer à la fabrique ?
– Grâce à
Dieu, les bons candidats manquent pas dans la paroisse, déclara mystérieusement
le prêtre. À ce que je vois, tu suis ça de pas mal
près, Eugène.
– C’est sûr, monsieur
le curé, admit sans aucune gêne le cultivateur. Je pense que c’est pas un
secret pour personne dans la paroisse que mon beau-frère Wilfrid et moi, on
haïrait pas ça être sur le conseil.
– Vous êtes
plusieurs à être intéressés, laissa tomber le prêtre sans se mouiller.
– Je trouve
que ça ferait du bien qu’il y ait pas seulement des bleus là-dedans, fit
remarquer Eugène.
Les
sourcils d’Antoine Lussier se froncèrent devant cette allusion.
– Il y a rien
qui prouve que des rouges feraient mieux. En plus, tu devrais savoir que la
politique a pas grand-chose à voir avec l’administration d’une paroisse, dit
abruptement le curé. De toute façon, l’élection du prochain marguillier va se
faire seulement à la
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