Les années folles
elles m’ont fait baptiser.
– Bon. Est-ce
que c’est la première fois que t’es placée en dehors de l’orphelinat ?
– Oui, monsieur
le curé.
– Sais-tu
pourquoi tu es ici ?
– Sœur
Sainte-Anne m’a dit que vous aviez demandé quelqu’un pour aider votre servante.
– C’est en
plein ça. Il paraît que t’es bonne dans une cuisine ?
– Je me
débrouille, monsieur le curé.
– Parfait. La
supérieure t’a aussi expliqué, je suppose, que tu es placée sous ma responsabilité
et que si tu ne conviens pas, je vais te renvoyer à Saint-Ferdinand.
Gabrielle
hocha la tête. Tout, semblait-il, lui avait été expliqué avant son départ de l’orphelinat.
– Inquiète-toi
pas, voulut la rassurer Antoine Lussier. On te fera pas de misères ici. Tu vas
rester chez madame Cournoyer, dans la petite maison blanche, de l’autre côté de
la route, en face du presbytère. Elle va te traiter comme sa propre fille.
– Merci, monsieur
le curé.
– Madame
Cournoyer, c’est la dame qui t’a ouvert. Tu peux maintenant aller la rejoindre
à la cuisine. Elle va t’expliquer ce que t’as à faire, dit le prêtre.
À midi, le curé Lussier et l’abbé Martel entrèrent
dans la salle à manger. Au centre de la table, une soupière remplie de soupe
aux légumes fumante et une miche de pain les attendaient déjà. Par la porte
entrouverte de la cuisine, les ecclésiastiques purent entendre les deux femmes
parler à mi-voix alors qu’elles étaient à préparer le reste du repas. Soudainement,
le rire cristallin de la nouvelle servante fit sourire le curé.
– On dirait
bien que notre Agathe a pas pris grand temps pour apprivoiser la petite
nouvelle, laissa-t-il tomber avec un certain contentement.
Chapitre 10
La fabrique
Le
lendemain matin, après la grand-messe, Thérèse Tremblay s’empressa d’aller à la
rencontre de quelques paroissiennes dès sa sortie sur le parvis de l’église. À titre de
présidente des Dames de Sainte-Anne, il lui fallait trouver de toute urgence le
plus de personnes de bonne volonté possible pour préparer les paniers de Noël à
l’occasion de la guignolée. Elle savait pouvoir compter sur des voisines
immédiates comme Yvette Veilleux et Rita Hamel, mais c’était nettement
insuffisant pour la tâche qui les attendrait.
Pendant ce temps, Eugène avait allumé sa pipe tout en poursuivant une
discussion animée avec plusieurs hommes regroupés autour de son beau-frère, Wilfrid
Giguère, près des voitures. Un peu plus loin, Ernest Veilleux était en grande
conversation avec Joseph Groleau, Adélard Crevier, Bruno Pierri et quelques
autres.
– Les hommes
peuvent bien dire qu’on aime ça jacasser, dit en riant Yvette Veilleux qui
montrait les deux groupes d’hommes à ses voisines.
– On le sait
depuis longtemps qu’ils donnent pas leur place quand il s’agit de mémérer, ajouta
Rose-Aimée Turcotte en se gourmant.
– Comment ça
se fait que tu sais ça, toi, Rose-Aimée ? lui demanda Marthe Giguère, narquoise.
La
célibataire d’une quarantaine d’années, qui n’était pas dotée d’un grand sens
de l’humour, resta muette un instant.
– Voyons, Marthe,
tu sais bien que notre Rose-Aimée a dû trouver ça dans un des livres qu’elle a
lus, dit Emma Tougas en souriant.
– Je pense
que vous essayez de me faire fâcher, là, reprocha Rose-Aimée, incertaine, en
regardant les femmes qui se moquaient gentiment d’elle.
– Mais
non, Rose-Aimée, on fait juste des farces, voulut la rassurer Yvette Veilleux.
Un
peu plus loin, à l’écart, Henri Dupré, du rang du Petit-Brûlé, s’entretenait
avec Clément Tremblay et deux autres jeunes de Saint-Jacques-de-la-Rive.
– La Price
ouvre un autre chantier en haut d e La Tuque
la semaine prochaine, annonça Dupré. Un de mes cousins y monte pour l’hiver et
je vais faire comme lui, même s’il est déjà pas mal tard pour faire ça. Demain
matin, je prends le train de bonne heure. Il paraît que l’ouvrage manque pas et
que les gages vont être bons. Je vais redescendre seulement avec la drave à la
fin du printemps, les poches bourrées ben dur d’argent.
– Ça fait
tout un changement avec les années passées, fit remarquer Clément Tremblay qui
avait essayé sans succès de s’engager les deux dernières années.
– Mon cousin
m’a dit que les affaires de la compagnie reprennent. Elle a ouvert cette année
ses deux vieux chantiers et a réengagé tout
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