Les années folles
à Yvette et à ses filles qu’à hacher le
mélange à saucisse et à confectionner ces dernières. Toute la viande fut
déposée dans le coffre.
– On est
chanceux, dit Ernest en finissant de nettoyer la table. On va avoir une bonne
heure pour se reposer un peu avant le train. Il me restera juste à gratter la
peau de la vache.
– Voulez-vous
toujours que je vous fume vos jambons ? demanda le voisin en lavant ses
couteaux avant de les envelopper dans un vieux linge propre. J’ai allumé mon
fumoir hier après-midi et j’ai six gros jambons qui sont déjà en train de fumer
avec de l’écorce d’érable.
– On voudrait
pas ambitionner, intervint Yvette, tentée.
– Si je vous
l’offre, madame Veilleux, c’est que ça me dérange pas, fit le voisin en lui
adressant un sourire timide.
– T’es ben
fin de faire ça pour nous autres, accepta l’épouse d’Ernest Veilleux.
Avant
que le jeune voisin quitte, Ernest ne put s’empêcher de lui demander :
– Puis, le
ramassage du lait, est-ce que ça marche comme tu veux ?
– Numéro un, monsieur Veilleux. Remarquez que mon
tour est pas encore venu de ramasser, mais tout marche comme sur des roulettes.
J’ai juste à laisser mes bidons pleins sur la plate-forme tous les matins et, à
la fin de l’avant-midi, je les retrouve vides à la même place. En plus, il y a
pas de mélange dans les comptes. Boudreau écrit tout ce qu’on lui envoie et il
nous paye, comme avant, à la fin de la semaine, si on veut. Pas avoir à atteler
et à dételer tous les avant-midi, je trouve ça ben commode.
– Tant mieux,
dit Ernest en dissimulant du mieux qu’il pouvait son dépit.
– Et vous, monsieur
Veilleux, ça vous tente toujours pas d’embarquer avec nous autres ?
– J’y pense, répondit
le cultivateur, volontairement évasif. Jusqu’à maintenant, il y a pas d’avantage
pour moi parce que je me trouve toujours une commission ou deux à faire au
village tous les matins, ajouta-t-il en mentant effrontément.
Germain
Fournier quitta les Veilleux en emportant non seulement tous les jambons à
fumer des Veilleux, mais aussi une soixantaine de livres de bœuf que ses
voisins avaient absolument tenu à lui offrir pour tout le travail qu’il avait
accompli. Pourtant, le jeune homme aurait échangé toute cette viande contre un
autre sourire lumineux de la belle Céline.
Alors qu’il
retournait chez lui dans le jour déclinant, il ne pouvait s’empêcher de se
demander quand il pourrait revoir la jeune fille ailleurs qu’à l’église.
– Peut-être
la semaine prochaine, quand je vais ramasser le lait, se dit-il avec un vague
espoir.
Le lendemain, un
peu avant midi, le curé Lussier rentra au presbytère, le visage rouge et la
sueur au front. Agathe Cournoyer vint au-devant du prêtre pour l’aider à
enlever son manteau qui avait été uniquement posé sur ses épaules.
– Si ça a de
l’allure de se mettre dans un état pareil ! s’écria-t-elle en le voyant
claudiquer en s’appuyant lourdement sur une grosse canne trouvée au fond d’un
placard.
– C’est rien,
c’est rien, fit le prêtre en esquissant un mouvement d’impatience. C’est juste
cette maudite cheville foulée qui me fait un mal de chien. Je peux pas m’appuyer
dessus et l’épaule m’élance sans bon sens.
– Vous êtes
sûr que vous voulez pas que je demande à Joseph Groleau d’aller chercher le docteur
Courchesne ?
– Non, ça
vaut pas la peine. Il peut pas faire grand-chose.
– Comme vous
le voudrez, monsieur le curé. Mais il me semblait qu’il vous avait dit de
rester tranquille et de bouger le moins possible.
– C’ est ce que je fais.
– Mais non, c’est
pas ce que vous faites, monsieur le curé. Vous êtes pire qu’un enfant à soigner,
le réprimanda la vieille ménagère. On dirait que vous aimez souffrir pour rien.
Par exemple, vous étiez pas obligé de risquer de tomber dans l’escalier juste
pour aller voir si tout était correct à l’église. Restez donc tranquille
pendant que l’abbé Martel finit les visites paroissiales.
– C’ est ce que je vais faire, je crois bien, promit
le prêtre en s’essuyant le front avec un large mouchoir qu’il venait de tirer
de l’une des poches de sa soutane.
– Ah ! Pendant
que j’y pense, j’ai laissé le courrier sur votre bureau.
– C’est
correct, fit le prêtre. L’abbé Martel est pas revenu ?
– Il est
revenu, mais il a dû repartir tout de
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