Les années folles
son monde. En plus, elle ouvre le
chantier où je veux me faire engager.
– Mon oncle
Marcel travaille au gouvernement, intervint un certain Lazure du rang
Saint-Paul. Il dit que la récession est finie et qu’il y a de moins en moins de
chômeurs. Il paraît qu’il y a des grands syndicats qui vont forcer les boss à
payer des bons salaires.
– T’es mieux
de pas parler de syndicat dans un chantier, mon Hervé, le prévint Dupré. J’ai
fait un chantier il y a trois ans et je te dis tout de suite que la vie est pas
rose. Mais je te garantis qu’il y a pas un maudit syndicat qui va entrer là. C’est
pas une place pour les feluettes, ajouta le jeune homme avec la condescendance
de celui qui a l’avantage d’avoir connu ce genre de vie.
– Il faut pas
exagérer, modéra Hervé Lazure. C’est tout de même pas l’enfer. Mon père et mes
frères sont montés dans les chantiers pendant des années et personne en est
mort.
– J’ai pas
dit que c’était l’enfer, j’ai dit que c’était pas facile. Se lever à quatre
heures et demie tous les matins que le bon Dieu amène pour aller bûcher à des
températures de – 25 toute la journée avec un boss sur le dos tout le temps, c’est pas le paradis. En
plus, dormir tassés dans le camp et manger presque toujours la même chose, c’est
pas la joie non plus. Mais il y a la paye, et ça, ça fait oublier tout le reste.
Est-ce qu’il y en a qui ont le goût de monter avec moi demain matin ?
Les
jeunes se consultèrent du regard pendant un moment.
– Toi, Clément ?
Tu m’as pas dit que t’avais essayé de te faire engager l’année passée ?
– Oui, et
même l’année d’avant. Ils engageaient pas.
– Cette année,
t’es chanceux : tu te ferais engager tout de suite. Ils ont besoin d’hommes.
– Il va
falloir que j’en parle c hez nous, conclut
Clément. Moi, je voudrais ben. Ça doit être le fun d’avoir un peu d’argent
dans ses poches et de voir autre chose que Saint-Jacques… Bon. Il faut que j’y
aille, dit le jeune homme en lançant un regard vers son père qui se dirigeait
avec sa mère et sa sœur Aline vers leur voiture. Si je peux y aller, j’irai te
voir cet après-midi, ch ez vous .
Sur ce, Clément Tremblay, songeur, regagna la
voiture dans laquelle les siens venaient de prendre place.
Durant le repas, le
jeune homme ne dit pratiquement pas un mot. Il fallut que sa mère fasse
allusion aux jeunes avec qui il avait discuté après la messe pour qu’il se
décide à parler.
– Il va y en
avoir pas mal moins dimanche prochain, dit-il.
– Pourquoi ça ?
– Ben. Il y
en a plusieurs qui vont monter au chantier demain matin. Dupré m’a dit qu’ils
viennent d’en ouvrir un nouveau à La Tuque
et que la Price engage.
Son
père cessa un instant de tremper son pain dans le sirop d’érable pour le
regarder.
– Ah bon !
se contenta de dire Thérèse Tremblay en se levant pour aller chercher une autre
miche de pain dans la huche.
– Moi, j’ai
pas mal envie d’y aller aussi, finit par dire le jeune homme. Ça fait deux ans
que je veux me faire engager.
– Pour la
drave aussi ? demanda sa sœur Claire.
– Ben non. Je
jumperais avant la drave. Il paraît que la compagnie garde juste ceux qui
veulent pour la faire.
– Voyons donc,
Clément, t’es pas pour faire ça à ton père ! dit sa mère en reprenant sa
place à table. Il était entendu que vous coupiez du bois tout l’hiver sur notre
terre à bois pour aller en vendre une bonne partie à Pierreville. Vous aviez même
parlé de découper de la glace sur la rivière…
– Oui, je le
sais, admit son fils, mal à l’aise, mais je pensais pas qu’on rouvrirait des
chantiers cet hiver et qu’on engagerait.
– Je pourrais
peut-être y aller avec toi, intervint son frère Gérald, et…
– Whow !
Toi, t’as juste seize ans, l’interrompit sa mère avec brusquerie. Tu vas attendre
que le nombril te sèche avant de partir travailler dans un chantier. De toute
façon, c’est parler pour rien : il y a pas un chantier qui engage des
jeunes de ton âge.
– On sait ben.
Moi, j’ai jamais le droit de rien faire, se plaignit l’adolescent.
– Oui, t’as
le droit de te taire, lui ordonna sèchement sa mère.
Autour
de la table, il y eut un long moment de silence. Claire, aidée par sa sœur Aline,
se mit à ramasser la vaisselle sale pendant que la petite Jeannine commençait à
ranger la nourriture déposée sur
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