Les années folles
suite parce que madame Ouellette l’a fait
demander. Il paraît que son vieux père va plus mal.
Antoine
Lussier ne dit rien et s’engouffra en clopinant dans son bureau où l’attendaient
trois ou quatre lettres qu’il parcourut les unes à la suite des autres, après s’être
assis avec précaution dans son fauteuil. Lorsqu’il replia la dernière, il
appela sa cuisinière sans se lever. Agathe Cournoyer quitta sa cuisine et vint
se planter dans l’entrée de la pièce.
– Madame
Cournoyer, j’ai une bonne nouvelle pour vous, lui annonça Antoine Lussier, en
esquissant un mince sourire. J’espère que vous êtes prête à recevoir ch ez vous la fille que j’ai demandée à la
supérieure de l’orphelinat de Saint-Ferdinand pour vous aider, parce qu’elle
arrive par le train demain avant-midi.
– Dites-moi
pas ça ! s’exclama la vieille ménagère, heureuse.
Le
curé Lussier jeta un coup d’œil à l’une des enveloppes déposées sur son bureau
avant d’ajouter :
– La lettre
de la supérieure a été postée au début de la semaine passée. J’aurais dû la
recevoir pas mal avant aujourd’hui, mais ça sert à rien de se plaindre. Sœur
Sainte-Anne dit qu’elle nous envoie une vraie perle .
– Elle est
pas mal fine, déclara la servante dont le petit visage tout ridé n’était plus
qu’un grand sourire.
– Je me méfie
quand même un peu, reprit l’ecclésiastique. Si elle était si extraordinaire que
ça, sa Gabrielle Paré, elle l’aurait gardée à l’orphelinat pour aider.
– Vous pensez ?
demanda Agathe Cournoyer, soudain un peu inquiète.
– On verra
bien, déclara le curé. En attendant, faites avertir Philibert Dionne de nous
ramener cette fille de la gare de Pierreville lorsqu’il ira chercher la poste, demain
matin.
Le
samedi avant-midi fut particulièrement occupé au presbytère de
Saint-Jacques-de-la-Rive. Après avoir passé près d’une heure avec l’abbé Martel
à discuter des sujets des prêches qui seraient donnés durant l’avent, le curé
Lussier s’enferma un long moment dans son bureau avec Honoré Beaudoin, le
président de la fabrique paroissiale, pour discuter de l’organisation de la
guignolée qui aurait lieu trois semaines plus tard ainsi que de l’ordre du jour
de la réunion du conseil de fabrique, prévue pour le lundi soir suivant. Le
premier des marguilliers venait à peine de quitter les lieux qu’on sonna à la
porte du presbytère.
Le prêtre avait
trop mal à la cheville pour aller voir qui venait d’arriver. Si le visiteur
était pour lui, la servante viendrait le prévenir. Il n’eut pas à attendre longtemps.
Quelqu’un frappa discrètement à la porte de son bureau.
– Oui. Qu’est-ce
qu’il y a ? demanda-t-il en déposant devant lui son bréviaire, qu’il
venait à peine d’ouvrir.
– Le postier
vient de nous laisser la jeune fille envoyée par l’orphelinat, monsieur le curé,
dit Agathe Cournoyer à voix basse.
– Bon. Faites-la
entrer.
Antoine
Lussier retira ses lunettes à monture métallique qu’il ne portait que pour lire
et regarda entrer dans la pièce une jeune fille à l’air un peu intimidé portant
un vieux manteau gris de toute évidence un peu trop grand pour elle et coiffée
d’un bonnet de la même couleur.
– Tu peux
enlever ton manteau et ton chapeau, lui proposa le prêtre. Il fait pas mal
chaud ici.
– Merci,
monsieur le curé, répondit la visiteuse en esquissant un mince sourire embarrassé.
Antoine
Lussier l’examina pendant qu’elle retirait son manteau. C’était une grande
jeune fille svelte, vêtue d’une robe noire ornée d’un petit collet blanc. Sa chevelure châtain clair était retenue par un
ruban et mettait en valeur un visage ouvert aux pommettes hautes. Il se
dégageait de toute sa personne un étrange mélange de timidité et d’énergie.
Le curé Lussier l’invita
à s’asseoir.
– La
supérieure de Saint-Ferdinand m’a pas dit grand-chose sur toi. Tout ce qu’elle
m’a écrit, c’est que tu t’appelles Gabrielle Paré et que tu viens d’avoir
dix-neuf ans. C’est ça ?
– Oui, monsieur
le curé.
– T’es
restée combien de temps à Saint-Ferdinand ?
– Je suis
toujours restée là, monsieur le curé, murmura l’orpheline… depuis l’âge de deux
mois.
– Tes parents ?
– Je les ai
pas connus.
– En tout cas,
ils s’appelaient Paré, non ?
– Non. C’est
un nom que les sœurs m’ont donné quand
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