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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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âme désemparée faisait cette prière : « Mon Dieu, s’il est vrai que tu existes, sauve donc des hommes qui sont dignes de toi ! » Cependant, Danton, de son pas lourd et résolu, marchait vers l’Hôtel de ville par les rues étroites et le pont Saint-Michel où les Marseillais attendaient avec cinq mille charges dans leurs cartouchières. Le haut du ciel où les étoiles s’étaient éteintes pâlissait, les toitures avec leurs pignons se découpaient en dents de scie obscures. Et dans bien des portes, quoi qu’en dît Blondel, des hommes dont on voyait vaguement luire la baïonnette ou le sabre, ou blanchoyer les buffleteries, se rencoignaient dans l’embrasure, prêts à se joindre aux colonnes qui descendraient.
    À l’Hôtel de ville, Pétion réclamait à cor et à cri des gardes pour l’enfermer chez lui. Le détachement destiné, en principe, à cet usage, n’était point là. Sans plus attendre, le maire s’en alla se faire lui-même prisonnier dans sa mairie, quai des Orfèvres. En arrivant, Danton trouva une situation confuse et assez dangereuse. Le commandant-général Mandat avait envoyé, des Tuileries, aux troupes qui gardaient le passage devant l’arcade Saint-Jean et sur le Pont-Neuf, l’ordre écrit de laisser s’engager les insurgés, puis de les mitrailler en flanc et en queue au moment où la gendarmerie du Carrousel et du Louvre les chargerait en tête, de façon à les anéantir. Ces ordres, connus, effrayaient et faisaient hurler de fureur contre le « sanguinaire Mandat » les cent quarante commissaires nommés par les sections. Ils étaient réunis dans la salle Saint-Jean sous la présidence de Dubon, comme prévu, avec, entre autres, le gros Robert que sa petite femme ne songeait pas à chercher ici. Le Conseil général de la Commune siégeait dans sa propre salle, mais la plupart de ses membres s’éclipsaient un à un dans la nuit. Dubon avait déjà fait savoir aux obstinés qu’ils ne représentaient plus rien : la Commune, c’était désormais les élus des sections. Sur la réquisition de leur président, Manuel, en tant que procureur général-syndic de la Commune, venait d’ordonner à la garde nationale de retirer ses canons, à l’arcade Saint-Jean et au Pont-Neuf, car nul ne pouvait entraver la communication entre les citoyens des différents quartiers. « C’est bien, acquiesça Danton, mais cela ne suffit pas. »
    À quatre heures du matin, le jour naissait lorsqu’on entendit, aux Tuileries, une voiture rouler dans la Cour royale. On ouvrit un contrevent du Grand Cabinet, et l’on vit l’équipage du maire s’en aller, vide. Le ciel, par-dessus le Carrousel et le Louvre, s’empourprait. Madame Élisabeth dit à la Reine : « Ma sœur, venez donc voir se lever l’aube. » Elles restèrent un moment à la contempler. Avec autant d’angoisse mais plus de fermeté que Lucile Desmoulins et Gabrielle Danton, chacune d’elles se demandait ce qu’allait leur apporter ce jour. Le Roi, mal réveillé, entra pesamment, gras et pâle, fripé dans son habit de soie violette. La Reine puis Madame Élisabeth se jetèrent dans ses bras. Ses cheveux, d’un côté, étaient aplatis, dépoudrés, blond filasse ; de l’autre, gonflés normalement, ils gardaient leur poudre. Cela lui faisait une figure surprenante, difforme. Il trouva les ministres, Rœderer, Mandat en grande discussion : la garde nationale venait d’obéir à Manuel. C’est avec soulagement que Gabrielle et Claudine Dubon, bouleversées d’anxiété et qui n’avaient pas dormi, elles non plus, avaient vu les canons du Pont-Neuf s’en aller vers le quai de la Ferraille. Les Marseillais, fraternisant avec les servants, s’étaient assurés des pièces. En outre la Commune demandait impérieusement que Mandat se rendît auprès d’elle. Il n’en voulait rien faire, estimant, avec plusieurs des ministres, sa présence indispensable au Château. Personne ne savait ici que ladite Commune n’était plus celle du Conseil général. « La garde nationale, dit Rœderer, est essentiellement aux ordres de la municipalité, le commandant ne peut refuser de lui obéir, sans se mettre en contravention avec la loi. » Mandat résistait. Vers cinq heures, il monta enfin à cheval et partit avec, pour toute escorte, son fils et un officier d’ordonnance. À ce moment, Desmoulins, qui n’était pas allé à l’Hôtel de ville mais à la section, passait cour du Commerce pour prendre

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