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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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trois cartouches au plus, et beaucoup une seule.
    — Bah! on ne tirera pas. Il ne se passera rien. Les faubourgs ne sont pas disposés à bouger.
    — Le croyez-vous, monsieur, ou bien en êtes-vous assuré ? » demanda Madame Élisabeth qui conservait avec Pétion, depuis le retour de Varennes, une certaine familiarité confiante.
    « Je le crois, madame. »
    Hormis elle, tout le monde le considérait d’un mauvais œil. On le soupçonnait et le surveillait. Il eût donné cher pour être ailleurs. « On étouffe ici, dit-il à Rœderer. Je vais descendre, pour prendre l’air un moment. » Il sortit dans la galerie des Carraches. Elle était, comme la Chambre du lit et les salles, encombrée de fusils en faisceaux, de postes militaires, de sentinelles. Des gardes nationaux s’assoupissaient sur les banquettes, d’autres dormaient, couchés à même le parquet. Des gentilshommes accourus pour défendre le Roi se groupaient dans les embrasures, sur les balcons gris de lune, et parlaient entre eux à mi-voix. Ici également régnait partout une sourde rumeur faite des bruits de pas, d’allées et venues, de tintements d’armes. Rœderer, en habit vert pomme avec son sautoir tricolore, écoutait, assis dans un coin de la salle du Conseil, en attendant les nouvelles que son secrétaire Blondel devait lui envoyer. Un peu avant onze heures, il reçut un billet : aucun signe de mouvement ne se manifestait aux faubourgs. Il descendit alors chercher à son tour un peu de fraîcheur.
    Sur la terrasse du Château, il aperçut dans la nuit claire et chaude un groupe qui s’avançait, venant, semblait-il, des abords du Manège. C’était le maire avec des officiers municipaux, dont Mouchet : le petit Diable boiteux, et des membres de la Commune, accompagnés par une quinzaine de jeunes gardes nationaux sans armes qui s’amusaient et chantonnaient en se tenant par le bras. Le blond Pétion avait retrouvé son flegme. Il paraissait maintenant très tranquille. « Faisons un tour ensemble », proposa-t-il au procureur du Département. Ils se dirigèrent tous vers la terrasse du Bord de l’Eau. « Il n’y aura rien, je pense, dit Pétion. Des commissaires sont allés aux lieux des rassemblements. Thomas m’a dit qu’il n’y aurait rien, il doit savoir l’état des choses. » Rœderer ignorait complètement qui pouvait bien être ce Thomas, il souhaitait que ce personnage si renseigné ne se trompât point, mais il en doutait et partageait peu le singulier contentement du maire. Au long de la terrasse dominant la Seine argentine au clair de lune, ils marchaient dans une odeur et un froissement de feuilles mortes. Les ardeurs de cet été les avaient déjà desséchées. Avant même que l’automne fût là, elles jonchaient le sol. Cela produisait sous le pied un bruit mélancolique mêlé au sourd grondement qui entourait le jardin calme. On entendait battre le rappel du côté du Palais-Royal. « Nous devrions peut-être retourner », dit Rœderer. Comme ils arrivaient au pavillon de l’Horloge, deux huissiers du Manège accompagnés de gardes vinrent réclamer le maire appelé par l’Assemblée. Il fallut bien le laisser partir.
    « Il ne pourra pas s’en aller, observa quelqu’un, sa voiture est dans la cour. »
    Rœderer songea que Pétion avait dû avertir Mouchet de le faire réclamer, voilà sans doute pourquoi il se montrait si tranquille tout à l’heure. Il ne reviendrait certainement pas.
    À ce moment Danton rentrait chez lui enfin, mais n’offrait à ses amis qu’un front soucieux et une mine des plus maussades. Il s’assit pesamment. Comme Lucile Desmoulins, anxieuse, lui demandait si le tocsin sonnerait : « Oui, oui ! s’écria la vibrante M me  Robert. Il faut que ce soit cette nuit ! » Danton, lourd, renfrogné, répondit par un haussement d’épaules, puis, agacé, se leva et descendit dans la rue. Après un moment, il remonta, redescendit encore. Dans l’appartement, il ne regardait personne. Agité, sombre, il se frottait les genoux sans rien dire. Dehors, il recevait de mystérieux émissaires, les écoutait d’un air morne et les renvoyait. Il avait caché Marat, dont Barbaroux, tout en le traitant de cher maître, se souciait peu de faire cadeau à Marseille ; et il attendait maintenant que les élus des sections fussent réunis à l’Hôtel de ville. Par les avis qu’il recevait, il suivait la marche des choses. Il savait Alexandre, Fournier

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