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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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l’Américain et leurs compagnons, réunis au faubourg Saint-Marceau, Santerre et les siens au faubourg Saint-Antoine. Barbaroux, Rebecqui étaient avec Garat aux Cordeliers mêmes où se tenait le gros des Marseillais. Tout serait bientôt mûr pour l’immense mouvement qu’il avait voulu. Il ne resterait plus qu’à donner le signal. Tout cependant demeurait incertain, et c’était la vie et la mort qui se jouaient sur un coup de dé. Le peuple se lèverait-il dans sa masse ? N’allait-on pas offrir à la Cour l’occasion de massacrer les sans-culottes ? Tout enfin risquait aussi de trop bien réussir. On allait déchaîner des forces incontrôlables, entrer dans un avenir dont on ne pouvait rien prévoir. Qu’est-ce qui commencerait tout à l’heure au son précipité d’une cloche ?… Mais où et quand commence un événement ? Avant même que l’on eût songé à sonner ce tocsin, n’était-il pas depuis longtemps fatal ?
    Danton remonta encore. Sa femme, pâle, exténuée, remplaçait dans les chandeliers les bougies près de s’éteindre qui crépitaient au ras des bobèches. Brusquement, Desmoulins entra, un fusil à la main. Lucile jeta un cri. Mais, ne voulant point affaiblir par des larmes le courage de son Camille, elle alla les cacher dans la chambre, et là, elle pleura, prostrée au bord d’un des lits jumeaux. Camille vint la rejoindre, s’efforça de la calmer. Il lui dit qu’il avait pris ce fusil « comme ça », qu’il ne songeait point à s’en servir. Il la ramena au salon. Danton était debout. « Allons, c’est le moment », fit-il. Desmoulins, Fréron, le gros Robert le suivirent. Gabrielle-Antoinette et Lucile, côte à côte sur le canapé, se soutenaient mutuellement tandis que M me  Robert leur prodiguait des consolations. Mais bientôt Danton rentra. « Je vais me mettre sur mon lit un instant, dit-il à sa femme. S’il en est besoin, tu m’éveilleras, mon amie. » Dans l’alcôve aux rideaux de toile jaune, où se serraient les deux lits bas à colonnettes, il dormait déjà, harassé, lorsque, en exécution de ses ordres, la grosse cloche des Cordeliers commença lentement, puis de plus en plus pressante, de faire vibrer la nuit. Saint-André-des-Arcs entra en branle à son tour et, de proche en proche, dans toutes les sections des faubourgs, les cloches, les unes après les autres, reprirent et relancèrent le signal. Agenouillées sous la fenêtre, le visage dans les mains baignées de larmes, Lucile et Gabrielle écoutaient cette tragique clameur du bronze.
    Aux Tuileries aussi, tout le monde l’écoutait : Claude sur le balcon où il restait avec Lise ; au Manège où deux cents députés à peine veillaient et d’où Pétion, laissant sa voiture devant le pavillon de l’Horloge, était parti à pied pour l’Hôtel de ville ; au Château où les défenseurs se pressaient aux fenêtres, essayant de situer les sections qui sonnaient le tocsin : les Gravilliers, Mauconseil, les Lombards… Le Roi, dans sa chambre, recevait les exhortations de son confesseur. La Reine et sa belle-sœur Madame Élisabeth passaient de cette pièce à la chambre où dormaient tranquillement la jeune Madame Royale et son petit frère. Elles pleuraient aux genoux du Roi, aux lits des enfants, puis séchaient leurs larmes pour reparaître dans les salles, à l’Œil-de-Bœuf où s’étaient rassemblés la troupe des gentilshommes et les dames, au Grand Cabinet, c’est-à-dire la salle du Conseil dans laquelle Rœderer se tenait toujours, un peu à l’écart des ministres, et accablé par la chaleur. En bas, les Suisses avaient pris position dans le grand escalier. Leurs rangs étagés sur les degrés dont ils occupaient toute la largeur formaient comme une cascade écarlate, rutilante dans la lumière reflétée par le dallage et les murs de marbre. Il était minuit trois quarts. Rœderer reçut un nouveau message de son cabinet : le faubourg Saint-Antoine bougeait, mais sans beaucoup de vigueur. On comptait au plus mille cinq cents à deux mille hommes rassemblés, toutefois les canonniers se trouvaient sur pied avec leurs pièces, et nombre de citoyens étaient en armes devant leur maison, prêts à marcher. Le procureur du Département lut cette lettre au Roi et à la Reine. Un des ministres demanda pourquoi on ne proclamait pas la loi martiale. Rœderer répondit que seule la municipalité en avait le pouvoir. « Le Département n’a-t-il pas le droit

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