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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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d’imposer à la municipalité cette proclamation ? » dit le ministre. Rœderer lui assura que non et, tirant de sa poche la loi du 3 août imprimée en une brochure à couverture tricolore, se mit, pour la consulter, sous la lumière d’un des flambeaux encadrant la pendule. Madame Elisabeth, intriguée par cette couverture, s’approcha. « Que tenez-vous là ? dit-elle.
    — Madame, c’est la loi de la force publique.
    — Et qu’y cherchez-vous donc ?
    — S’il est vrai que le Département ait le droit de faire proclamer la loi martiale.
    — Eh bien, l’a-t-il ?
    — Madame, je ne le crois pas. »
    Ses jambes ne le portaient plus, il alla s’asseoir sur un tabouret, près de la porte donnant sur la Chambre du lit. La fatigue supprimait toute étiquette. La Reine, sa belle-sœur, M me  de Lamballe, M me  de Tourzel vinrent prendre place sur les autres tabourets. « Quand donc ces Marseillais partiront-ils ? » soupira Marie-Antoinette.
    Dehors, l’agitation tombait. Bien des fenêtres autour de la place s’étaient éteintes. Il ne restait pas grand monde sur le Carrousel. Sans doute le tocsin avait-il rappelé à leurs lieux de rassemblement les Marseillais, les fédérés, les sectionnaires. Peu à peu, les autres, lassés, rentraient chez eux pour dormir. La nuit scintillante recouvrait sa sérénité, son silence. On sentait une fraîcheur avec un peu de brise qui portait l’odeur des feuilles sèches. La voiture de Pétion demeurait dans la Cour royale, et Claude, tout comme les derniers présents, le croyait toujours au Château. Sous le porche du pavillon, dans la lumière, là plus brillante, on voyait la cascade écarlate et immobile des Suisses finir dans le blanc des culottes et des guêtres du premier rang, derrière une barrière en bois. Mais beaucoup de gardes nationaux s’étaient retirés avec le gros du peuple, individuellement ou par groupes, certains par compagnies, officiers en tête. Il n’y avait quasiment plus de mouvement dans les cours. « Allons dormir, mon petit lapin, dit Claude. Si l’affaire prend, ce ne sera pas avant demain, ou plutôt ce matin. » Néanmoins, ils ne se déshabillèrent qu’à demi et laissèrent la fenêtre ouverte, pour entendre s’il se produisait quelque chose. Épuisés tous deux, ils tombèrent ensemble, d’un coup, dans le sommeil.
    Danton dormait lui aussi après s’être levé pour aller à la section, et jeté de nouveau sur son lit. En le voyant revenir, M me  Robert, dont le fard coulait, lui avait demandé : « Où est mon mari ? Où l’avez-vous envoyé ? – Eh ! foutre, comment voulez-vous que je le sache ? » lui avait-il répondu avec un bâillement grimaçant. Maintenant, gagnée par les angoisses de Gabrielle-Antoinette et de Lucile, elle tournait au tragique. « Si Robert périt, je ne lui survivrai pas. Mais ce Danton, lui, le point de ralliement, si mon mari meurt, je suis femme à le poignarder. » Avec son rouge, son chapeau à plumes qu’elle n’avait pas quitté, son visage luisant de chaleur, elle était ridicule et un peu effrayante. Là-dessus, Camille à son tour entra, la cravate défaite, les cheveux en désordre, les traits burinés. Il murmura des choses vagues et, enlaçant sa femme, s’endormit instantanément sur son épaule. Dans la rue, les tambours battaient au milieu d’une rumeur et des appels.
    Aux Tuileries, les messages que Rœderer recevait de son secrétaire devenaient assez rassurants : les rassemblements se formaient mal, mandait Blondel. Les citoyens des faubourgs se lassaient, il paraissait qu’on ne marcherait point. Peu après deux heures et demie du matin, un grand homme en habit gris vint faire au Roi un rapport du même genre. Il dit que le tocsin ne rendait pas, on le répéta autour de lui avec satisfaction. Un peu tranquillisé, Louis XVI se retira dans sa chambre où il s’étendit tout habillé lui aussi. Mais, peu de temps plus tard, Danton quittait son lit, définitivement cette fois, pour aller accomplir la besogne décisive. Il avait laissé venir l’heure, et elle était là maintenant. Il rassura Gabrielle, lui disant de ne pas s’inquiéter, qu’il ne risquait rien. M me  Robert s’en était allée à la recherche de son époux. Danton réveilla Camille et ils partirent ensemble. Les alarmes des deux femmes ne se calmaient nullement. Lucile clamait en elle-même : « Camille, mon pauvre Camille, que vas-tu devenir ? » et son

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