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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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avait appelé Rœderer auprès d’elle. M me  de Lamballe le conduisit. Il trouva Marie-Antoinette dans une petite chambre à l’écart : celle de Thierry, qui donnait sur le jardin et communiquait avec l’atelier de serrurerie cher au Roi. La Reine était seule, assise près de la cheminée, tournant le dos à la fenêtre et au jour. Elle ne voulait pas laisser voir sur ses traits les ravages de l’inquiétude. Après le départ de Mandat, quelques commissaires envoyés par le Département étaient venus conférer avec son procureur-syndic et les ministres. La conclusion de ce colloque avait été pessimiste, la Reine le savait. Elle interrogea Rœderer sur ce qu’il convenait de faire, selon lui, dans ces circonstances. « Madame, dit-il, à mon avis le Roi devrait se rendre avec sa famille dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, et se mettre sous sa protection. » Le ministre de la Marine, Dubouchage, qui était entré et se tenait un peu à l’écart, s’avança. « Vous proposez de mener le Roi à ses ennemis, monsieur.
    — Non point tant ennemis, puisqu’ils ont été quatre cents en faveur de La Fayette, contre deux cents. Au reste, je propose cela comme le moindre danger.
    — Monsieur, dit la Reine avec un mouvement vif, il y a ici des forces. Il est temps enfin de savoir qui l’emportera, du Roi et de la Constitution, ou des factieux.
    — En ce cas, madame, voyons quelles sont les dispositions prises pour la résistance. »
    On appela l’officier auquel Mandat avait confié le commandement : le chevalier de La Chesnaye. Il déclara que le Carrousel était bien gardé et la défense également assurée du côté jardin. Se tournant alors vers la Reine, il lui dit avec humeur : « Madame, les appartements sont pleins de gens qui rebutent beaucoup la garde nationale. » Une compagnie entière venait, en effet, de changer de camp parce qu’un de ces royalistes, tapant sur l’épaule du capitaine, lui avait lancé : « Allons, mon ami, voilà le moment de montrer du courage ! – Du courage ? Soyez tranquille, nous n’en manquons pas, mais ce n’est pas à côté de vous que nous le montrerons », avait répliqué l’officier-citoyen en sortant aussitôt avec ses soldats. Marie-Antoinette répondit avec douceur au commandant La Chesnaye : « La garde nationale se rebute mal à propos. Ces hommes sont sûrs, prêts à tout ce qui pourra être nécessaire. Ils marcheront devant vous, derrière vous, dans les rangs, comme vous voudrez. »
    Ces paroles, ajoutées au « il est temps enfin de savoir », rappelèrent à Rœderer certaine discussion avec Claude, dont elles semblaient bien confirmer l’avis. Mounier-Dupré ne se trompait pas : il y avait ici une forte résolution pour le combat et des gens qui devaient promettre à la Reine une victoire. Rœderer, dont la position était déjà très fausse, sentit sa responsabilité s’alourdir encore. Il aurait bien voulu imiter Pétion, mais pas moyen. Il entrevoyait qu’après une résistance sanglante et la défaite des insurgés il s’ensuivrait probablement une entreprise sur le corps législatif. Le seul moyen d’éviter la bataille et de désarmer la contre-révolution semblait être d’associer le monarque à l’Assemblée. Aussi le procureur général-syndic insista-t-il pour que Louis XVI écrivît à celle-ci en lui demandant assistance. Dubouchage s’y opposa. « Alors, dit Rœderer, au moins que deux ministres aillent au Manège faire connaître l’état des choses et demander l’envoi de commissaires. » Cela n’engageait à rien. Deux des ministres se rendirent donc à l’Assemblée. Il restait là soixante députés perdus dans le vaste vaisseau où les quinquets luttaient encore avec la lumière du jour.
    Les deux envoyés venaient de quitter le Château quand on entendit du tumulte, des cris dans le jardin. Dubouchage, la tête à la fenêtre, s’exclama : « Grand Dieu ! c’est le Roi qu’on hue ! Que diable fait-il là-bas ? Vite, messieurs, vite, allons le chercher ! » Pendant que Marie-Antoinette conférait, Louis XVI s’était laissé convaincre de passer en revue les troupes. Persuadés qu’il suffisait de montrer le Roi pour galvaniser tous les cœurs, les royalistes l’avaient entraîné dans le jardin, sans se rendre compte qu’ils promenaient ainsi un pauvre homme ridicule avec sa pesanteur, son habit fripé, sa tête en ce moment difforme et grotesque, ses

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