Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
bas blancs mal tirés. S’il se fût présenté comme un soldat, un chef résolu à combattre au premier rang avec les défenseurs de cette Constitution pour laquelle on demandait aux gardes nationaux de donner leur vie, peut-être les eût-il effectivement galvanisés. Il était, plus que beaucoup d’entre eux, plein de courage et prêt à mourir, mais cela ne se voyait point. Tout, au contraire, dans son aspect, confirmait l’idée de veulerie, d’hypocrisie sournoise, que l’on s’était faite du tyran allié aux Autrichiens, du tartuffe qui répandait de mielleuses paroles en attendant les cohortes étrangères, les traîtres, les rois conjurés. Sur la terrasse, il avait été accueilli par les cris de : « À bas Veto ! À bas le traître ! » Le bataillon de la Croix-Rouge le poursuivait en le menaçant. Rœderer voyait cette scène par la fenêtre. Il se retourna. Le visage dans les mains, la Reine pleurait sans mot dire, étouffée par les sanglots qui lui secouaient les épaules. Elle s’essuya les yeux et passa dans la chambre de son mari pour l’attendre. Rœderer l’y rejoignit au bout d’un instant. Elle avait les yeux meurtris jusqu’au milieu des joues. Les ministres ramenèrent le Roi essoufflé, suant. Néanmoins il paraissait peu troublé.
    Il était six heures du matin. C’est alors que l’on apprit, par deux ci-devant municipaux, les événements de l’Hôtel de ville, la formation d’une assemblée insurrectionnelle et ce qui s’était passé depuis. Après le départ de Dubon, ses collègues avaient, avec l’autorité de Manuel et de Danton, dissous le Conseil général et s’étaient constitués en Commune nantie de tous les pouvoirs. Santerre avait envoyé quai des Orfèvres le détachement tant réclamé par Pétion qui se trouvait enfin prisonnier officiellement dans son hôtel. Comme première décision, la nouvelle Commune avait résolu de faire transférer Mandat à l’Abbaye, pour sa plus grande sûreté. À peine sortait-il entre ses gardes, un coup de pistolet dans la tête l’abattait sous les yeux de son fils. On l’avait jeté à la Seine. En ce moment, son cadavre devait flotter à demi au long du quai des Morfondus et passer sous la fenêtre de la chambre où Dubon ronflait, anéanti.

XIII
    Lise ouvrit brusquement les yeux, avec l’impression qu’elle venait à peine de s’endormir, mais la chambre était pleine de lumière ensoleillée, Claude déjà au balcon, en culotte et corps de chemise. Enfilant un peignoir, Lise alla rejoindre son mari. Elle l’embrassa, il la tint par la taille. Rien de nouveau sur la place : le soleil, pâle encore et comme vaporeux, illuminait l’enceinte en bois, le portail fermé, la Cour royale avec, de chaque côté, un cordon d’uniformes bleus et de Suisses au fond, enfin la sombre façade du Château criblée de fenêtres dont les vitres reflétaient la clarté du matin jaune et rose. « Il va faire chaud, dit Lise. Tu as bien dormi ?
    — Comme ci, comme ça. Et toi, mon poussin ? »
    Les martinets sifflaient en tournoyant. À travers leurs cris, on entendait dans le quartier une vague rumeur. Il devait y avoir du monde autour des Tuileries. On en apercevait dans la tranchée obscure de la rue Saint-Nicaise, au bout, du côté de la rue Saint-Honoré. Seuls cependant passaient sur le Carrousel les habitants des maisons voisines. Des roulements de tambour provenaient sans doute du quai, derrière la galerie du Louvre. Le tocsin, beaucoup moins perceptible que dans le silence nocturne, résonnait quelque part, très loin. Il ne semblait pas avoir produit grand résultat durant la nuit. « Il n’y a toujours point apparence, constata Claude, que rien puisse arriver bientôt. Déjeunons, veux-tu ? » Ils s’attablèrent dans la salle à manger blanche aux panneaux de papier peint figurant des emblèmes révolutionnaires. Margot les servit, puis elle alla aux provisions tandis qu’ils faisaient leur toilette. La demie après six heures sonnait aux Quinze-Vingts.
    À ce moment, huit ou dix mille gardes nationaux étaient en train de descendre la rue Saint-Antoine où le soleil coulait ses rayons dans la légère brume bleutée qui annonce un beau jour. La masse bleue, blanche, coiffée de noir, avançait par compagnies de cent hommes, le fusil dans le bras, baïonnettes étin-celantes, tambours battants, drapeaux déployés, l’artillerie en queue de chaque bataillon. Ce n’était pas les bandes

Weitere Kostenlose Bücher