Les autels de la peur
proposez-vous pour prévenir ces dangers et combattre cette ligue ? Aucune. »
Brissot, dans son discours du 16, avait dit : « La défiance est un état affreux. » Robespierre, lui, la trouvait préférable à « la stupide confiance qui nous mène au précipice. Législateur patriote, ne calomniez pas la défiance. Quoi que vous puissiez dire, elle est la gardienne des droits du peuple, elle est au sentiment profond de la liberté ce que la jalousie est à l’amour ».
Cette phrase déplut fort à Claude. N’avait-il pas vaincu en lui la jalousie ! Elle était contraire au véritable amour, au principe même de la liberté. La vigilance, oui, devait être la gardienne des droits du peuple, non pas la défiance, et s’il fallait en ce moment user de celle-ci contre des adversaires hypocrites, l’édifier en système politique serait monstrueux. Comment vivrait-on dans une société fondée sur la défiance permanente entre les diverses espèces de citoyens ? Maximilien trahissait là le fond de son caractère essentiellement soupçonneux et jaloux. Il n’avait aucun vrai sentiment de la liberté. Ce n’était chez lui qu’une passion de l’esprit, en opposition avec ses instincts retardataires. Même quand il vous forçait, comme en cet instant, d’admirer sa force de dialecticien, sa pénétration de politique, il ne donnait pas à se faire aimer.
« Législateurs nouveaux, poursuivait-il, songez que si vos devanciers avaient senti la nécessité de cette vertu, votre tâche serait beaucoup moins difficile à remplir. Sans elle, vous voilà aussi destinés à être les jouets et les victimes des hommes les plus vils et les plus corrompus, et craignez que, de toutes les qualités les plus nécessaires pour sauver la liberté, celle-là ne soit la seule qui vous manque. » Il revint à Brissot pour continuer à démolir son argumentation. Brissot avait dit : « Le peuple est là, vous n’avez rien à craindre. » Robespierre considéra ces mots comme signifiant que l’on pourrait toujours recourir à l’insurrection. Or, selon lui, l’insurrection était un remède rare, extrême, incertain, au succès rien moins qu’assuré. « Le peuple était là, lorsque, au mois de juillet dernier, son sang coula impunément au sein de cette capitale. Et par ordre de qui ? »
Question très habile. Ce n’était point par l’ordre, mais assurément par la faute des conseillers actuels du Roi, des Feuillants composant aujourd’hui son ministère, et enfin de La Fayette, que le sang du peuple avait coulé au Champ de Mars – de La Fayette à qui on allait à présent confier une armée pour combattre les ennemis de ce même peuple. Question très habile et très juste, reconnut Claude, à laquelle point n’était besoin de répondre.
« Oui, le peuple est là, admit Maximilien, mais vous, représentants, n’y êtes-vous pas aussi ? Et qu’y faites-vous si, au lieu de prévoir et de déconcerter les projets de ses oppresseurs, vous ne savez que l’abandonner au droit d’insurrection ?… Le siège du mal n’est point à Coblentz, il est au milieu de vous, il est dans votre sein. Avant de courir à Coblentz, mettez-vous au moins en état de faire la guerre. Est-ce au moment où tout retentit encore des plaintes élevées contre le plan de désarmer vos gardes nationales, de confier le commandement de vos troupes à des officiers suspects, de laisser vos régiments sans chefs, une partie de vos frontières sans défense, que vous devez vous engager dans une expédition dont vous ne connaissez ni le plan, ni les causes secrètes, ni les conséquences ? »
Avec la plus grande partie du club, Claude applaudit à ces justes remarques. Robespierre passa aux conclusions. Selon lui, il fallait : ne pas déclarer la guerre actuellement, avant tout fabriquer sans relâche des armes, en donner au peuple, fût-ce seulement des piques, prendre des mesures pour que les ministres ne pussent plus négliger la sûreté de l’État. Il fallait encore soutenir la dignité du peuple et défendre ses droits trop négligés, veiller au bon usage des finances au lieu d’achever de les ruiner par une guerre imprudente, enfin punir les ministres coupables, et persister dans la résolution de réprimer les prêtres réfractaires. Robespierre ne cacha pas que l’Assemblée législative lui semblait peu capable de mener à bien pareille tâche. Les mandataires de la nation s’étaient révélés
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