Les autels de la peur
fini. Le 2 janvier, Robespierre riposta, sur le même ton dédaigneux et insultant qu’avait pris Brissot. Il qualifia ses idées d’extravagantes, laissa entendre qu’il était un imbécile, ou pire. Il lui dit : « Le véritable Coblentz se trouve en France. Si vous ignorez cela, vous êtes étranger à tout ce qui se passe dans ce pays-ci. Si vous le savez, pourquoi le niez-vous ? » Il se passionna, lui aussi. « Apprenez, déclara-t-il à Brissot, que je ne suis pas le défenseur du peuple. Jamais je n’ai prétendu à ce titre fastueux. Je suis du peuple, je n’ai jamais été que cela, je ne veux être que cela. Je méprise quiconque a la prétention d’être quelque chose de plus. » Et aux législateurs, il lança : « Les mandataires du peuple voient souvent le bien, mais ils ne le veulent pas toujours. »
Peu après, il reprenait par deux fois la parole pour souligner la collusion des aristocrates du Midi, dont les menées contre-révolutionnaires ensanglantaient Avignon, et des émigrés, avec la Cour et ses ministres. « C’est cet ennemi intérieur qu’il faut combattre avant tout, au lieu de nous jeter dans ses bras. » Il reprochait au journal de Brissot, le Patriote Français, de publier « l’éloge le plus pompeux de La Fayette ». Accusation absolument inexacte. Il y avait toujours chez Maximilien ce mélange de franchise et de petites hypocrisies, d’une pensée de plus en plus haute, ferme, magistrale, et d’une mauvaise foi de circonstance, qui empêchait Claude de se livrer à une véritable admiration pour lui.
Pendant les premières semaines de l’année 92, le duel se poursuivit à intervalles, s’envenimant avec l’entrée en lice de deux autres champions. D’une part, Louvet. Le petit, le doux, le blond et déjà un peu chauve Louvet. Après son érotique Faublas, il venait de publier un roman sentimental et larmoyant sur la nécessité du divorce et sur le mariage des prêtres. Très occupé jusqu’à présent au comité de correspondance, il n’était encore jamais monté à la tribune. Voilà que, tout à coup, il l’abordait de concert avec Brissot pour attaquer Robespierre, non sans y mettre des formes, mais avec néanmoins une verve vive et provocante : juste le genre de harcèlement devant lequel le roide Incorruptible se trouvait le plus désarmé.
L’autre combattant, c’était Desmoulins. Il volait au secours de Robespierre. Camille, qui gardait sur le cœur depuis plusieurs mois une phrase maladroite du Patriote Français où Brissot l’avait traité de « jeune homme », profitait de la dispute pour lancer à son vieux compagnon de lutte, au confident de ses amours, au témoin de son mariage, quelques bonnes flèches bien barbelées. Claude, mal à l’aise, découvrait que le charmant Camille n’avait pas du fiel seulement pour ses adversaires : il pouvait être envers ses amis aussi susceptible, aussi rancunier que Robespierre lui-même.
La presse démocrate les suivait tous les deux : Marat, Prud-homme critiquaient aigrement Brissot et les Girondins. Danton, avec son cher Fréron, observait le combat sans intervenir. Hormis eux, les Jacobins dans leur majorité, sans vouloir prendre parti entre les rivaux – car il s’agissait, comme le disait Dubon, non seulement d’une opposition d’idées, mais, là-dessous, d’une rivalité pour la prépondérance au club – s’indignaient de ce conflit qui tournait aux attaques ad hominem, et ne pouvait servir que les ennemis de la Révolution. Enfin Claude, qui depuis deux jours présidait la Société, résolut d’en finir et somma Brissot et Robespierre de mettre fin à cette lutte scandaleuse entre deux amis. Sur quoi le vieux Dussaulx, l’académicien, le compagnon de Dubon à l’Hôtel de ville, le 14 juillet 89, que la section des Tuileries avait élu à la Législative, invita les adversaires à se donner l’accolade. Ils le firent, apparemment de bonne grâce, mais Claude ne s’y trompa point : ils s’embrassaient faute de pouvoir se mordre. Robespierre, d’ailleurs, ne dissimula nullement qu’il n’abandonnait rien de ses idées, protestant que son opinion ne pouvait être « subordonnée aux mouvements de sa sensibilité ni à son affection pour M. Brissot ».
Dubon, lui non plus, ne prit pas le change. Il sentait dans la Société une profonde source de discordes, et il le dit fort bien à Claude tandis que, serrés dans leurs manteaux, ils rentraient
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