Les autels de la peur
inférieurs à leur devoir. Il les avertit solennellement : « Nous touchons à une crise décisive pour notre révolution. De graves événements vont se succéder avec rapidité. Malheur à ceux qui, dans cette circonstance, n’immoleront pas au salut public l’esprit de parti, leurs passions et leurs préjugés mêmes ! »
Xavier Audouin criait d’enthousiasme avec Desmoulins. Les bravos, les applaudissements roulaient en tonnerre sous la voûte. Bien que Claude eût été choqué par le système de défiance, il n’en sentait pas moins la grande valeur de ce discours, et il en prenait de la considération pour Maximilien. La presse, du Journal universel d’Audouin, à Gorsas, à Hébert, à Marat, le porta aux nues. Seule, la Chronique de Paris, toute dévouée à Rœderer, fit la dédaigneuse, pour encenser au contraire la harangue du procureur-syndic.
Brissot s’était inscrit pour répondre à Robespierre dès la séance suivante. Elle fut tout entière occupée par Billaud-Varenne. Cet avocat-écrivain, de trente-cinq ans, d’aspect sombre, habillé très strictement à l’anglaise, portant une petite perruque d’un roux ardent, et marié à une belle jeune femme, ne s’était signalé, l’année précédente, qu’en se faisant exclure du club pour ses excès de républicanisme, puis réintégrer trois semaines plus tard, au moment de la scission feuillantine. Après sa première intervention contre la guerre, son long, dur mais très solide discours, ce soir-là, acheva de révéler en Billaud également l’étoffe d’un tribun, d’un homme d’État. Sans avoir l’envergure oratoire de Danton ni la dialectique serrée de Robespierre, il montrait une vigueur d’expression, une logique rapide, brutale, qui frappaient les esprits. Il reprit un par un, en les développant avec une sombre ardeur, les arguments qu’il avait fournis à Robespierre, et il obtint les honneurs de l’impression, de la distribution aux filiales.
Toute la semaine, on entendit successivement Machenaud, Doppet, récemment inscrit au club, et Desmoulins soutenir la thèse de la paix. L’avant-dernier jour seulement de cette année 91, Brissot reprit place à la tribune des Jacobins. Aussitôt on sentit qu’un duel était engagé. Brissot ne se contentait pas de réfuter, mal d’ailleurs, les raisonnements de Billaud-Varenne et de Robespierre : il attaquait celui-ci sournoisement, le provoquait sans le nommer, le raillait de ses craintes en sous-entendant que sa pusillanimité lui ferait toujours voir partout des complots. Il alla plus loin. « Ah ! s’exclama-t-il, qui n’a pas frémi, qui n’a pas été déchiré de voir un défenseur du peuple citer contre lui la cruelle catastrophe du mois de juillet ! Quelle ingratitude de prétendre qu’elle ait fait rétrograder la liberté ! Elle en rendit plus vif encore l’éclat. Si nous voyons à notre tête les Pétion, les Rœderer, les Robespierre, les Danton et l’ingénieux Desmoulins, c’est que le peuple était là. » Après les avoir ainsi persiflés, il accusa tout bonnement les « patriotes égarés » de provoquer une lutte intestine par laquelle la France allait être plongée dans l’anarchie, et s’écria : « Oh ! combien ils déshonorent notre révolution, ceux qui prêchent cette anarchie ! Par quelle fatalité, de bons patriotes tombent eux-mêmes dans ces excès ? » Il continua longtemps sur ce ton, traitant les égarés d’anarchistes, fauteurs de guerre civile, puis termina par cette effarante déclaration : « Les hommes les plus dangereux ne sont ni les Feuillants ni les ministériels ni les aristocrates, ce sont ceux qui se disent vos frères et qui attaquent impudemment la Constitution dans une Société qui s’est vouée à la défense de toutes ses parties. »
Claude avait écouté cette diatribe avec stupeur. Il fallait que Brissot ait perdu la tête. Mais ses amis l’applaudissaient vivement. « Ces fous de Girondins veulent-ils donc la rupture ? » marmonna Dubon. Ils réclamaient l’impression du discours. Ce fut un beau tapage. La voix cuivrée de Danton domina les clameurs. Lui et Robespierre protestèrent, le second avec force, le premier avec bonhomie, contre une conclusion injurieuse pour de nombreux membres de la Société et pour elle-même. Brissot se rendit compte qu’il était allé trop loin. Il promit de retoucher la dernière partie de son texte pour l’impression.
Ce n’était pas
Weitere Kostenlose Bücher