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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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en quelques instants, décider. Et il fallait, d’heure en heure, procéder plus vite, car le flot des suspects grossissait sans cesse. Ils convergeaient de toutes les sections à travers Paris figé dans l’angoisse. Silencieux, les boulevards, les places, les promenades étalaient au soleil leurs déserts. On n’entendait pas d’autre bruit que celui des détachements sillonnant la ville : fédérés, Marseillais en pantalon de toile à rayures, Brestois en habit écarlate. Dans les rues, nul passant, plus une voiture. Le signal donné par le rappel des tambours avait suspendu toute activité. L’Assemblée nationale et les assemblées de sections, les clubs, les tribunaux eux-mêmes, vaquaient. Chaque Parisien était tenu de rentrer chez soi et d’y demeurer. Toute personne rencontrée dehors par les patrouilles, toute personne trouvée dans un logement autre que le sien, toute personne absente de son domicile, serait réputée suspecte. Les boutiques, les cafés, les maisons avaient fermé leurs portes. Aux carrefours, des postes de sentinelles veillaient.
    Pour obéir à la loi, Lise était retournée chez elle. Assurée de n’avoir rien à craindre, elle n’en attendait pas moins nerveusement, avec Margot, oppressées l’une et l’autre par le sentiment d’une crise dont ces mesures exceptionnelles rendaient manifeste la gravité. Le roulement d’un tambour se rapprochait, annonçant la venue des commissaires. On entendit le heurtoir retentir, en bas, puis tout un brouhaha se fit dans l’immeuble.
    « Et si ça se savait, chuchota la grosse Margot, que j’ai reçu les deux messieurs céans !
    — Mais non, voyons, ne t’inquiète pas, ma bonne. On nous aurait dénoncés depuis longtemps. »
    Le bruit allait croissant : un vacarme de grosses voix, de pas lourds, des remuements de meubles, des coups contre les cloisons, sur les planchers, des raclements dans les cheminées. Soudain, sur le palier on tira le pied-de-biche. Margot ouvrit, un peu tremblante, Lise derrière elle. Elles se trouvèrent en face de Buirette de Verrières, le bossu, fagoté dans une carmagnole et flanqué de deux assistants : des compagnons ouvriers, tous les deux en corps de chemise, manches retroussées, la poitrine broussailleuse barrée par le baudrier des sabres, pique à la main. Ils tenaient en outre, l’un une énorme vrille, l’autre un assortiment de clefs passées dans un vaste anneau en fil de fer. Verrières salua fort galamment.
    « Citoyenne, je dépose à vos pieds le tribut de mon admiration. Pardonnez à mon audace si je vous trouble dans votre foyer. Loin de nous le soupçon que vous puissiez donner asile à des ennemis de la nation dans ce nid du patriotisme. La prudence voudrait néanmoins que nous le visitions, pour le cas où, à votre insu, quelque scélérat s’y serait caché. Voulez-vous nous permettre d’entrer ?
    — Assurément, citoyen commissaire, dit Lise en réprimant sa répulsion pour le petit bossu. Les amis de la loi ne doivent-ils pas s’y soumettre les premiers ! Du reste, tous les patriotes sont chez eux, ici. J’ai plaisir à vous y voir, citoyens. »
    Le regard de Verrières la gênait. Elle le sentait sur ses hanches, sur sa gorge ; il s’attardait à l’entrecroisement du fichu, à la cocarde qui masquait certain vallon. Mais les deux sectionnaires, eux, montraient un si naïf et respectueux émerveillement à la vue de cette jeune femme – blonde de cheveux et de chair dans sa robe blanche, belle comme une aristocrate mais avec un cœur de vraie « sœur romaine » – qu’elle n’eut aucune peine à leur sourire, malgré une odeur plutôt forte de sueur et de gros vin. Ils ôtèrent leur bonnet de laine en entrant. Avec grand soin de ne faire nul dégât, ils examinèrent les placards que Margot et Lise leur ouvraient, ils auscultèrent les murs de refend, enfoncèrent leurs piques dans les conduits des cheminées, sans toucher à aucun meuble ni pratiquer la moindre fouille.
    Seuls les sans-culottes insoupçonnables avaient droit à de pareils égards. Partout ailleurs, on visitait et on inventoriait avec une rigueur extrême, on cherchait papiers ou objets révélateurs, on traquait les suspects dans tout ce qui pouvait leur fournir une cachette. On découvrait des réfractaires, des aristocrates, dissimulés sous de faux planchers, derrière des cloisons factices, dans des armoires à double fond, des niches recouvertes par une plaque de foyer ou

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