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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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doit tenir pour suspects tous ceux qui se sont opposés d’une façon ou d’une autre à la Révolution. Je vous demande, et je vais demander à l’Assemblée nationale, des mesures pour que les portes de Paris soient fermées, l’enceinte gardée de telle sorte que nul ne puisse s’enfuir, et pendant ce temps toutes les maisons de la ville fouillées de fond en comble. »
    Robespierre approuva. On réalisait enfin sa recommandation : réduire d’abord l’ennemi intérieur. La Cour l’était, réduite ; restait la multitude de ses partisans, répandus en tous lieux, et de toute espèce. On décida de réputer suspects non seulement les royalistes et les prêtres insermentés, qui se cachaient depuis le 10, les pères, mères, femmes et enfants d’émigrés, qu’un décret de l’Assemblée nationale, rendu le 15, sur l’initiative de Danton, considérait comme des otages et consignait à ce titre dans leurs municipalités, mais aussi les signataires de la protestation contre le 20 juin, de la pétition contre le camp des fédérés sous Paris, et de toutes les pétitions monarchistes : d’une façon générale tout individu ayant fait partie de la Cour ou fréquenté assidûment le Château, et tous ceux que leur section estimait, pour un motif ou un autre, mauvais citoyens. Claude, avec Laclos et Chénier, protesta contre le vague d’une telle définition. « Nous avons déjà beaucoup de dénonciations sans autre fondement que les rancunes personnelles, l’envie, l’intérêt. Cette fois, nous allons en recevoir des milliers. » On lui répondit qu’il appartiendrait au Comité de surveillance, élargi s’il le fallait, de faire la discrimination, et que d’ailleurs ce vague permettait seul d’atteindre les suspects indéfinissables autrement, comme les profiteurs ou les égoïstes dont il avait parlé lui-même.
    Il rentra chez sa sœur, où Lise et lui logeaient toujours, assez troublé. Il regrettait un peu d’avoir cédé à un mouvement plus nerveux que raisonné. Oui certes, le grand frein de la Révolution, du progrès, c’était l’égoïsme, mais qui pouvait s’en prétendre exempt ? « Pas même moi », se répondit-il. Il songeait aux deux aristocrates recueillis par Margot et dont il avait, pour sa part, assuré le salut : ce chevalier de Cérisay, son père, le comte, qui abandonnaient la sécurité d’une existence familiale en province pour venir risquer leur vie en défendant l’ordre. Si opposé fût-il à celui de Bernard renonçant à sa paisible vocation afin de défendre son idéal, leur sacrifice, en lui-même, ne méritait pas moins d’estime. Voilà pourtant les gens que l’on allait comprendre automatiquement dans la liste des ennemis de la patrie, les gens qu’il fallait traquer, jeter en prison. Et, en désignant comme suspects les égoïstes, il venait lui-même de classer dans la catégorie des mauvais citoyens son beau-frère Naurissane, Thérèse.
    « Je sais à quoi vous pensez, Claude, lui dit Dubon auprès duquel il marchait en silence. Nous sommes injustes et cela vous pèse, n’est-il pas vrai ? Moi aussi, j’en souffre. Nous ne pouvons pourtant pas agir autrement dans l’anarchie présente. Nos ennemis sont partout, jusque dans le sein des assemblées. Il faut sortir de cette confusion par un moyen énergique. Il faut qu’enfin les choses soient nettes. Vous avez eu raison de parler comme vous l’avez fait. »
    Le lendemain, la cérémonie à la mémoire des patriotes morts le 10 déroula ses fastes funèbres dans une atmosphère de colère et de peur. Sergent avait fait dresser aux Tuileries, par-dessus le bassin octogonal, une immense pyramide tendue de serge noire sur laquelle se détachaient des inscriptions rappelant les crimes royalistes : massacres de Nancy, de Nîmes, d’Avignon, de Montauban, de la Chapelle, du Champ de Mars. Une théorie de veuves et d’orphelines, en robe blanche à ceinture noire, promena par les rues, dans une arche, la pétition arrosée, le 17 juillet de l’année précédente, par le sang des citoyens. D’énormes sarcophages noirs suivaient sur des chariots attelés de bœufs, à la manière antique. Le soir tombait lorsque le cortège, accompagné par l’Assemblée, la Commune, les tribunaux, vint déposer ces cercueils symboliques entre la statue de la Loi et celle de la Liberté revêtues de draperies blanches et voilées de noir, qui encadraient la pyramide funéraire. Tout concourait à

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