Les autels de la peur
l’espoir d’une action puissante.
— Tenez compte des milliers de royalistes ou de contre-révolutionnaires qui ont su échapper à la suspicion. Ils se déguisent sous le masque du bon patriote, ils s’empresseront de s’unir aux captifs délivrés, pour nous écraser entre leur masse à eux tous et celle des envahisseurs, dans l’instant que nous serons affaiblis par le départ des citoyens volant au combat. La contre-révolution est partout, vous le savez bien. Quand on voit un tribunal prétendument démocratique acquitter un Montmorin ! Tant que nous conserverons dans notre sein des hommes de cette espèce ou comme ce Botot-Dumesnil, et peut-être même certains amis de Brissot, il y aura complot permanent. À tout prendre, Jean Julien n’a point parlé sans raison.
— Bah ! il aura répété ce que nous entendons tous raconter, sans la moindre preuve », dit Claude, peu convaincu. Néanmoins l’avis de son beau-frère lui fit impression.
À cinq heures, il passa au bureau de sa section prendre un nouveau passeport pour Limoges, puis gagna l’Hôtel de ville. Robespierre tenait la tribune. Il parla, longuement et avec une sourde violence, des manœuvres que l’on avait employées pour ruiner la confiance du peuple en la Commune. Billaud-Varenne l’appuya. On, c’était évidemment l’Assemblée législative, le Conseil exécutif, le clan Roland-Brissot. Dans ces conditions, affirma l’orateur, il ne restait aux commissaires qu’à remettre aux sections les pouvoirs qu’elles leur avaient délégués. Claude ne comprenait pas. Encore des amphigouris à la Robespierre ! Si le Conseil général se retirait, qui prendrait l’autorité ? Les masses révolutionnaires auxquelles on désignait pour leurs ennemis, avec les royalistes ou monarchistes emprisonnés, tout ce qui n’était pas montagnard. Et on se lavait les mains en attendant que le peuple ait fait place nette au moyen de la grande convulsion prônée par Danton.
Ainsi donc prenait corps sournoisement l’idée de l’holocauste que Marat réclamait depuis toujours. « En finir avec l’ennemi intérieur », « rejeter du sein de la nation les contre-révolutionnaires », « effrayer les royalistes », « ne pas laisser derrière soi des séides de la tyrannie », enfin remettre le pouvoir au peuple. Après ça, il ne restait qu’à sonner le tocsin d’une Saint-Barthélemy où la Gironde même ne serait point épargnée. Oui, sans doute il avait été le premier, lui Claude, à dénoncer le péril intérieur. Oui également, la situation exigeait des mesures extrêmes, et il importait que tout ce qui n’était pas foncièrement démocrate fût écarté des opérations électorales, car il fallait une Convention vraiment républicaines ou bien on se retrouverait pour la troisième fois avec une assemblée partagée, impuissante. Mais n’y avait-il vraiment pas d’autre ressource qu’une tuerie ?
Effrayé par ses propres pensées, Claude se leva, regardant Maximilien impénétrable et bien poudré comme toujours, Dubon un peu pâle qui serrait nerveusement ses mains. « Je ne porterai pas d’avis sur les paroles prononcées par Robespierre, dit Claude. Je rappelle seulement ceci : nous tous, membres de la Commune, avons juré de ne point abandonner notre poste tant que la patrie serait en danger. Les circonstances nous délient-elles de ce serment ?
— Non », répondit Manuel en montant à la tribune.
Il couvrit Robespierre d’éloges, mais, s’appuyant sur la remarque de Claude, soutint que le Conseil général ne pouvait pas se démettre sans manquer à son devoir. La majorité se prononça dans ce sens et la séance fut levée précipitamment. Il y eut une envolée de municipaux vers les prisons. Manuel en fit sortir son ennemi personnel, Beaumarchais. Panis, Sergent, Tallien, Fauchet réclamaient des personnes au sort desquelles ils s’intéressaient ou protégées par Robespierre, Danton, Desmoulins. Claude avait pris Maximilien à part. « Quel est ton dessein ? lui dit-il. Parle clairement, depuis si longtemps que nous luttons côte à côte, je n’ignore pas ce qui t’anime et tu connais mes dispositions. Ouvre-moi ta pensée.
— Je n’ai pas de dessein, mon ami, répondit Robespierre. Je voudrais être assez puissant pour modérer les convulsions d’une société qui se débat entre la liberté ou la mort, mais les événements ne dépendent pas de moi. Je n’ai qu’une pensée :
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