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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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soupçonneux Billaud ne croyait guère, lui-même, à son accusation. M me  de Lamballe était bien trop naïve, elle manquait trop de ressources d’esprit, pour jouer le moindre rôle dans un complot. Son interrogatoire le fit clairement paraître, et ceux de M me  de Tourzel, de Pauline prouvèrent que l’on ne pouvait rien articuler contre elles. L’adolescente était totalement étrangère à la question. Quant aux deux femmes, qui leur eût imputé à crime leur fidélité ? Pourtant le Comité n’avait pas osé libérer ces trois innocentes. Il fallait qu’elles fussent reconnues telles par le tribunal extraordinaire. M me  de Lamballe surtout, trop marquée par son intimité avec la Reine. Trop longtemps les libellistes à la solde d’Artois, de Provence, d’Orléans s’étaient servis de cette affection pour taxer Marie-Antoinette du vice de Sapho. Et encore, des libelles sans-culottes la montraient s’y livrant furieusement avec la princesse, au Temple même. Pour le peuple crédule, la Lamballe partageait tout l’odieux des pires dépravations de l’Autrichienne.
    Le Comité, en attendant la comparution des trois femmes devant le tribunal, les avait mises à La Force. Il ne restait au Temple, comme compagnon de la famille royale, que le barbier-valet de chambre Cléry, échappé des Tuileries le 10 et revenu pour demander à servir son maître. Des commissaires municipaux se relayaient continuellement dans la pièce servant d’antichambre au logement des cinq captifs. On avait environné la tour d’un large fossé devant lequel les sentinelles montaient la garde. Le bruit courait néanmoins dans le peuple que les royalistes se disposaient à faire évader toute la famille.
    Au palais, Claude rédigea sa lettre de démission. Il tenait à ce que celle-ci comptât du jour même, car il ne voulait pas toucher un nouveau quartier de traitement alors qu’il recevait une forte indemnité pour ses fonctions à la Commune. Cet abus des deniers publics, quand l’argent manquait tant, lui semblait peu patriotique. Il fit ses adieux à son secrétaire et à son greffier en demandant au premier de porter la lettre au président Treilhard dès qu’il serait là. « Je viendrai plus tard prendre congé de lui, vous le lui annoncerez. » Il eut un entretien avec le substitut Faure qui allait assurément le remplacer en titre. « Bah, vous savez, citoyen, remarqua plaisamment Faure, le poste va devenir une sinécure. Le tribunal extraordinaire nationalise, si j’ose dire, tous les crimes. Il ne nous restera plus comme clients que les voleurs à la tire ou les criminels d’amour. »
    Curieux de voir opérer ce tribunal, Claude passa par la Tournelle. Faure l’accompagnait. « On juge Bachmann, le major des Suisses », dit-il. Dans la ci-devant Grand-Chambre dont le fond de papier gros bleu jurait avec les belles boiseries, le somptueux plafond peint, le dallage de marbre noir et blanc, l’assistance, très disparate, murmurait sourdement. Comme Marat, qui qualifiait de traîtres les juges, les commissaires nationaux et les jurés, elle s’irritait contre ce prétendu tribunal du peuple où l’on acquittait ses ennemis les plus avérés. Ne venait-on pas de proclamer innocent l’ancien ministre Montmorin : le principal complice de Louis XVI, une des têtes du « cabinet autrichien » ! Heureusement, Danton avait renvoyé en prison ce scélérat, et cassé le commissaire Botot-Dumesnil, qui serait jugé à son tour pour trahison. Mais tous ici étaient des Botot-Dumesnil. Ces vieux robins ! Ils ne sortaient pas de leurs habitudes. Fallait-il tant de formes pour condamner maintenant ce Bachmann qui avait commandé le feu sur les patriotes, aux Tuileries ? Avait-on besoin de juges, pour lui régler son sort ? Ventrebleu ! des gens pareils, on ne perd pas son temps avec eux. On leur dit : « Tu as commis tel crime, allez, tu vas mourir. » Et les prisons regorgeaient de gens comme ça, dont la plupart finiraient, avec les lenteurs du tribunal, par échapper au châtiment. Un citoyen en carmagnole grise dit tout haut : « Le peuple n’obtiendra point justice s’il ne se la fait lui-même. » Claude regardait les juges, dans le costume que lui-même ne porterait plus. Au milieu de l’irritation qu’ils ne pouvaient manquer de sentir autour d’eux, ils conservaient leur impassibilité professionnelle. Le président Lavau interrogeait méthodiquement le prévenu. À la table

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