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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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marcher contre tous les tyrans de la terre. »

III
    « Sais-tu, mon cœur ? dit Lise à son mari, Lucile m’a fait des confidences : elle aussi, elle attend un enfant. Ce sera en juin ou juillet. »
    Celui de Gabrielle Danton venait de naître : un second fils, appelé François-Georges, dont l’arrivée au monde avait provoqué de grandes réjouissances cour du Commerce et chez les Charpentier. Lise s’étonnait un peu de ne voir rien s’annoncer chez elle. Elle se demandait parfois si cela tenait de famille : si, comme sa sœur, elle ne serait jamais mère. Mais elle avait juste vingt-deux ans et, à tout prendre, n’était vraiment mariée que depuis seize mois. De son côté, Claude espérait bien avoir des enfants, sans toutefois se dissimuler que la situation n’y encourageait guère. Avec son traitement de cinq mille livres, il s’était cru sinon riche, du moins à l’aise. Cette illusion s’éloignait de jour en jour : l’argent ne cessant de se déprécier et la vie d’enchérir, il fallait de nouveau faire très attention à la dépense. L’avenir devenait de plus en plus sombre : les assignats avaient baissé de quarante pour cent et ne semblaient pas devoir s’arrêter là. Les denrées se raréfiaient comme en 89. La récolte de 91 ayant été mauvaise, la disette reparaissait. Les grains ne circulaient pas mieux qu’autrefois, car l’unification du pays restait toute théorique et l’administration, instable, inorganisée, plus impuissante encore qu’avant la Révolution, il fallait bien le reconnaître. Pour comble, l’hiver était extrêmement rude : la Seine charriait une crème blanchâtre de glaçons qui se prenaient par endroits. Quand on traversait le Pont-Neuf, le vent vous arrachait les oreilles et vous coupait le souffle. Il ne restait rien des tas de bois empilé sur l’île Louviers, au bord de la Grève, sur l’île des Cygnes, et les marchands de combustible ne cédaient leurs dernières réserves qu’à prix d’or. Il fallait en avoir, de l’or. Pour ceux qui pouvaient le dépenser à pleines mains, rien ne manquait, tout était permis : il coulait chez les restaurateurs de la place des Victoires, de la rue Saint-Honoré, des Tuileries. Il roulait sur les tables dans les maisons de jeu, à peine clandestines, du Palais-Royal, où la prostitution de haute volée s’étalait au milieu d’un luxe inouï – dont les ci-devant aristocrates n’étaient point seuls à profiter –, tandis que pullulaient les chômeurs, les mendiants, les faméliques. Aux faubourgs Saint-Antoine, Saint-Marceau, où l’on manquait de pain, de tout, éclataient des émeutes. Santerre et son ami Alexandre, avec leurs bataillons populaires, ne les calmaient pas sans peine. Les journaux relataient de sanglants désordres dans la banlieue : à Étampes, le maire, qui se refusait à taxer le pain, avait été assassiné par des furieux. La révolte des nègres, à Saint-Domingue, provoquait une pénurie de sucre, aggravée encore par les accapareurs.
    C’était le moment que prenait l’Assemblée pour autoriser la fabrication en masse des piques réclamées pour tous les citoyens par les Cordeliers, les sections démocrates, les sociétés populaires plus remuantes que jamais, le club des électeurs siégeant à l’Évêché. Beaucoup de Jacobins, malgré Robespierre, regardaient sans enthousiasme cet armement ridicule et dangereux contre lequel Claude, à la tribune, protesta courageusement. Sur quoi le beau Barbaroux, marseillais du cercle Roland, vint déclarer :
    « On craint d’armer le peuple parce qu’on veut encore l’opprimer. Malheur aux tyrans ! le jour n’est pas loin où la France va se soulever, hérissée de piques.
    — Vraiment ! répondit Claude. Eh bien, laissez-moi vous dire qu’au lieu de faire forger des armes qui ne donneront du pain à personne, l’Assemblée législative agirait plus utilement pour le peuple en organisant la circulation des grains. Mais sans doute trouve-t-on moins aisé d’administrer le pays que de pousser des clameurs guerrières.
    — Bravo ! s’écria Dubon. Veut-on me permettre de rappeler que nous avons été les premiers, à l’Hôtel de ville, en juillet 89, à commander la fabrication des piques ? Dussaulx, Bonneville, Carra, Fauchet, Thuriot, peuvent comme moi réveiller ce souvenir, si nos jeunes députés du Midi ont oublié le fait, ou s’ils l’ont jamais su. On se demande, d’ailleurs, s’ils ont

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