Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
avoir vendu la France à Brunswick et pour avoir reçu d’avance le prix de leur trahison. »
    Dubon entra, s’épongeant la figure. Il revenait de dîner en hâte, à une heure extravagante. « Je vous préviens, dit-il, que l’on massacre à l’Abbaye. Il ne tardera guère à en être de même à la Conciergerie et au Châtelet devant lesquels il y a une grosse affluence. » Sans s’attarder, il passa au comité militaire où lui et ses collègues se dépensaient à la besogne titanesque de fournir au moins en fusils et en munitions l’armée parisienne pour la Champagne. Il était heureux que ce travail ne lui laissât pas le loisir de penser. D’autres avertissements semblables au sien parvenaient au Conseil général, qui décida d’en référer à l’Assemblée législative. Manœuvre d’un parfait jésuitisme. Tout le monde savait bien que le maintien de l’ordre dans Paris incombait à la municipalité, à la Commune seules. Les mains crispées, Claude suait, immobile. Torturé, il ne dit rien, s’efforçant de ne plus penser qu’aux révélations du D r Chévetel, au fanatisme des prêtres et des royalistes prêts à lancer une partie de la France contre l’autre, à soutenir l’envahisseur. La cruauté était un devoir.
    Le Conseil délégua aux prisons des commissaires. Billaud-Varenne, avec son habit brun et sa petite perruque rousse, partit pour l’Abbaye, où Nicolas Vinchon entendit l’essentiel de son discours. Cependant, Robespierre poursuivait son antienne sur la conspiration du pouvoir exécutif. L’idée semblait absurde. Roland était coupable d’imbécillité, mais assurément ni lui ni sa femme n’envisageraient jamais une restauration monarchique, et, qui plus est, au profit d’un prince allemand. Robespierre toutefois ne parlait pas au hasard, et ce n’était probablement pas sans raisons qu’il s’abstenait de nommer Roland. En laissant son accusation dans le vague, il mettait en cause tout le ministère. Or, il ne semblait pas impossible que Danton, recourant à tous les moyens pour lutter contre l’ennemi, – exactement comme il avait chargé Chévetel de fausses promesses pour les royalistes vendéens – ait, par quelque intermédiaire, fait miroiter le fallacieux espoir d’un trône en France aux yeux de Brunswick, pour l’endormir et ralentir l’invasion. Dans ce cas, il serait maladroit de pousser le soupçonneux Maximilien à préciser. Tant pis pour Roland !
    Claude continua donc de se taire. Il laissa le Conseil débattre, à la grande indignation du petit Louvet, la question suivante : lancerait-on un mandat d’amener contre le ministre de l’Intérieur ? Les maratistes voulaient l’expédier à l’Abbaye. Cela eût fait le bonheur de Marat. Ce n’était pourtant pas lui, ni Danton, qui avait envoyé rue Neuve-des-Petits-Champs une centaine d’hommes, en train, dans ce moment même, d’assiéger le ministère. Agitant leurs piques, ils réclamaient bruyamment les armes cachées, prétendaient-ils, en criant à la trahison. Manon Roland les reçut sans s’effrayer. Elle leur déclara froidement qu’il n’y avait jamais eu d’armes céans, qu’ils pouvaient tout visiter dans l’hôtel, et que s’ils voulaient voir Roland ils devaient se rendre à la Marine où tous les ministres étaient réunis. Roland s’y trouvait, en effet, en larmes, se tenant la tête à deux mains.
    Il était six heures. Claude, excédé par l’inconsistance des débats, dans lesquels manifestement l’assemblée municipale cherchait une sorte d’alibi, quitta l’Hôtel de ville pour passer au Comité de surveillance, bien que, là non plus, il ne pût y avoir grand-chose à faire. En vérité, nulle part, sauf au Comité militaire, il n’y avait d’action possible. Et c’était bien le pis.
    Le soir tombait, jaune et rose. Après avoir dépassé le débouché du pont NotreDame voûtant le dos sous sa hottée de maisons, Claude fut pris dans la foule qui s’agglutinait sur le quai, autour de l’arcade du Grand-Châtelet. Ici aussi, on sortait des cadavres encore saignants. Leur vue, de loin, arrêta Claude. Incapable d’affronter cet étal de viandes humaines, il se déroba par le Pont-au-Change. Ce fut pour buter bientôt sur d’identiques entassements, dans la même hideuse allégresse de la populace. La nausée aux dents, l’âme grelottante, il s’enfuit, retourna vers la Grève où, n’eût été le drapeau noir, on n’eût point imaginé

Weitere Kostenlose Bücher