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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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fond, la pompe, entre la fenêtre et la porte de la salle à manger, laissait échapper de l’eau, goutte à goutte. Derrière les vitres, une lumière veillait : M me  Duplay et sa fille, la brune Éléonore, attendaient leur hôte. Dans cette pièce bourgeoisement meublée, aux ombres quiètes, avec un médianoche préparé sur la table, et ces deux femmes cousant dans le rond de la lampe, tout était à mille lieues des tragiques images dont Claude demeurait hanté, tout les rendait à la fois plus invraisemblables et plus atroces. Il ne put toucher au blanc-manger, il prit seulement une tasse de bouillon. Robespierre fit de même. Par le petit escalier de bois, ils montèrent dans sa chambre contenant pour tout meuble le lit en noyer, quatre chaises paillées, une petite table devant la fenêtre, des rayonnages en sapin avec des livres, des cartons, des liasses bien en ordre.
    Maximilien, à voix basse, se remit à parler de Danton. « Il veut tout conduire, tout décider. La Commune populaire dont il s’est servi pour se hisser au pouvoir le gêne maintenant dans sa dictature. Cela se sent. Pourquoi ne s’est-il pas joint à nous en ce jour ? Pourquoi ne s’est-il pas rendu à nos appels ? Il nous abandonne aux attaques de l’Assemblée, du Conseil exécutif, aux sournoiseries de Pétion. Ah ! Pétion, notre plus ancien compagnon de lutte ! qui aurait cru qu’il changerait de camp et se ferait le séide du vaniteux Brissot, de Roland, ce vieillard cauteleux !… Mais qu’ils prennent garde, tous, et Danton lui-même : le peuple est terrible en ses colères. N’en voient-ils pas l’exemple aujourd’hui ? » Claude n’entendait plus. Défait, il dodelinait de la tête et vacillait sur sa chaise incommode. « Tu tombes de fatigue, lui dit Robespierre, mets-toi sur le lit. » Claude n’eut pas le courage de refuser. Ôtant son habit, ses souliers, il s’étendit à même le couvre-lit à ramages bleus et blancs, et tomba d’un coup dans l’inconscience.
    Quand il rouvrit les yeux, la chambre était claire. Il vit avec stupeur Robespierre en corps de chemise, assis à sa table et qui contemplait l’aube rosissante. Tout lui revint, il bondit en s’excusant. « Mais non, dit Maximilien, tu ne m’as point privé de mon lit. Crois-tu donc que j’aurais pu dormir ? » Il se passa la main sur le visage, puis reprit : « Il y a des heures où la présence d’un ami, même plongé dans le sommeil, est un grand réconfort. » Un instant, ils se regardèrent en silence, Claude plus ému qu’il ne l’avait jamais été par cette figure pâle et triste, si jeune encore sous la chevelure poudrée dont les boucles restaient, même ce matin, rigoureusement en ordre, par ces yeux verts aux paupières un peu rougies, dans lesquels se laissait lire la détresse d’un homme irrémédiablement seul. Brusquement, il se détourna et dit : « Il est à craindre que le peuple, après avoir forcé une à une les prisons, ne s’en prenne au Temple et n’y commette des excès qui compromettraient l’avenir. Tu ferais bien d’aller là-bas, pour veiller à la sûreté des otages. »
    Ceux-ci, étroitement gardés par des commissaires municipaux, ignoraient ce qui se passait dans Paris. Ils avaient pourtant, le dimanche, entendu le tocsin, le tambour, le canon d’alarme. D’une des maisons incluses dans l’enceinte, une femme les avait avisés de l’avance des armées alliées en exhibant à sa fenêtre avec adresse un grand carton sur lequel Madame Élisabeth avait eu le temps de lire Verdun est pris. Nouvelle confirmée un peu plus tard par un des municipaux, Mathieu, qui dit furieusement au Roi : « Les ennemis sont à Verdun. S’ils viennent, nous périrons tous, mais vous mourrez le premier. » Les autres commissaires réprouvèrent ces paroles ; ils n’en déclarèrent pas moins sévèrement que si le roi de Prusse marchait sur Paris et tuait des soldats français, c’était sur un ordre signé Louis, on le savait. « C’est une calomnie, répondit le Roi. J’en suis très affligé, je vous prie de la détruire dans l’esprit public. Rien n’aurait pu me faire donner un ordre pareil. »
    Lorsque, ce lundi matin, Claude arriva au Temple, aucune effervescence ne se manifestait aux alentours. Dans la belle cour à colonnade semi-circulaire, devant la porte du palais, il se rencontra avec Manuel. Ensemble, ils traversèrent le jardin, franchirent le fossé creusé à quelque

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