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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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s’évanouissait d’horreur. Au soir tombant, enfin, les hommes payés par le duc de Penthièvre purent recueillir la pauvre tête blonde. Ils l’enveloppèrent d’une serviette et l’enfouirent provisoirement au cimetière des QuinzeVingts. Ils faillirent, du reste, payer cette action de leur liberté sinon de leur vie, car la section Popincourt, indignée par le crime, les prit pour les assassins et les fit arrêter. Prévenu le lendemain, un officier de M. de Penthièvre dissipa l’erreur, obtint du comité l’autorisation d’exhumer l’unique reste de la princesse. On l’enferma dans une boîte en plomb qui fut transportée à Dreux : lieu de sépulture de la famille. Ce n’était pas la seule victime immolée malgré la protection du Comité. L’abbé Lenfant, en dépit de toutes les précautions prises par son frère, venait d’être tué ce même lundi, à l’Abbaye.
    La malheureuse Louise avait survécu juste vingt-quatre jours à son amoureux, Pierre de Segret. Des cinq personnes qui, le 10 août, dans le Grand Cabinet des Tuileries, entouraient la famille royale prête à partir pour le Manège, il n’en restait plus que trois de vivantes : Charles d’Autichamp, échappé de Paris et engagé dans la conjuration royaliste de l’Ouest, dont Chévetel venait d’aviser Danton ; M me  de Tourzel et Weber. Encore celui-ci était-il dans le plus grave danger. Il avait comparu devant le tribunal, à La Force, peu avant M me  de Tourzel. Mais il ne jouissait point de sauvegardes, lui. Tout au contraire, le comité de sa section continuait de nourrir les plus fortes préventions à son égard. Bien que peu convaincu de sa culpabilité, Claude, en révisant les listes des suspects, n’avait pas cru pouvoir l’en effacer. Toutefois, en marge, il avait noté : « Présumé innocent. »
    Dans la nuit du dimanche au lundi 3, pendant que Claude dormait chez Robespierre, à La Force les geôliers étaient venus chercher successivement le chevalier de Rhullières, puis La Chesnaye. Ni l’un ni l’autre n’avait reparu. À huit heures du matin, le lundi, une quantité de sans-culottes étaient entrés dans la cour. Ils envahissaient tout, fouinaient partout. Quelques-uns, regardant par les fenêtres dans les chambres du rez-de-chaussée, et voyant dans celle de Condé quatre hommes étendus tout habillés sur les châlits, avaient requis un guichetier pour ouvrir la porte et fait une irruption furibonde. C’étaient des gardes nationaux à bonnet rouge. Ils s’imaginaient que les quatre prisonniers se cachaient, ils les avaient bousculés en les traitant de coquins, d’aristocrates, de gueux. À quoi Weber, empoignant deux d’entre eux, avait répondu : « Le guichetier peut vous dire que nous ne sommes ni des coquins ni des gens à nous dissimuler. Vous devriez respecter le malheur si vous aviez de l’âme, et surtout vous rappeler que la loi défend de maltraiter les prisonniers sans savoir s’ils sont coupables. » Ce langage, joint à un témoignage favorable du guichetier, ramena les sans-culottes à de meilleures dispositions. Ils avaient dès lors montré plus d’égards et expliqué aux quatre détenus qu’il fallait aller dans la cour en attendant de comparaître devant le tribunal établi dans la chambre du concierge. Weber était resté là assez longtemps, écoutant la rumeur qui venait de la rue et que dominait par intermittence un tonnerre de hurlements. On distinguait confusément : « À l’Abbaye ! À Coblentz ! »
    Vers dix heures, deux sectionnaires armés l’avaient conduit au second guichet. Dans le premier, on interrogeait un homme que Weber ne pouvait apercevoir tant il y avait de monde dans ces deux petites pièces, mais il entendait. Quelqu’un reprochait au prévenu de cacher dans sa poche sa croix de chevalier de Saint-Louis. « L’Assemblée nationale n’a jamais défendu de la porter. On se rend suspect, monsieur, en dissimulant cette croix quand on l’a. » Le jugement avait dû être remis à plus tard, car un mouvement se produisit et on appela : « Au suivant ! » Weber avait alors paru devant le tribunal. Plus distinctement que M me  de Tourzel ne devait le faire, il vit au milieu des sectionnaires, des Marseillais et autres fédérés emplissant la pièce peu claire, enfumée de pétun, un gros individu en uniforme de garde national, la poitrine barrée d’une écharpe tricolore, assis à une grande table sur laquelle

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