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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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parurent ivres. Il semblait qu’aujourd’hui le peuple entrât céans comme dans un moulin. Un homme à bonnet rouge, passant fort près d’elle, dit sans la regarder : « Votre fille est sauve », et, continuant son chemin, quitta la cour. Après un moment d’émotion violente et heureuse, M me  de Tourzel, raffermie dans son courage, se rapprocha de ces gens dont l’air ne lui paraissait plus si méchant. Ils lui demandèrent d’abord son nom. En l’apprenant, ils dirent qu’ils le connaissaient bien. Ils avaient entendu parler d’elle, sa réputation n’était pas mauvaise. « Mais, ajoutèrent-ils, pourquoi donc avez-vous accompagné le Roi lorsqu’il a voulu s’enfuir ? Cette action est inexcusable, comment avez-vous pu la faire ?
    — J’ai obéi simplement à mon devoir. Ne croyez-vous pas que l’on doive respecter un serment ?
    — Si, parbleu ! Il faut mourir plutôt que d’y manquer.
    — J’ai pensé de même, voilà de quoi vous me blâmez. J’étais gouvernante de M. le Dauphin, j’avais juré de ne le quitter jamais, et je l’ai suivi dans son voyage comme je l’aurais suivi partout ailleurs, quoi qu’il dût m’en arriver.
    — C’est bien vrai, avouèrent-ils, elle ne pouvait agir autrement.
    — Votre tort, observa l’un d’eux, a été de vous attacher à des gens si nuisibles à la France. »
    M me  de Tourzel à son tour posa des questions. Elle apprit que les détenus étaient conduits un à un au peuple massé devant la porte de la prison. Après avoir subi une sorte de jugement, les innocents se voyaient absous, les autres devaient mourir. On lui dit que, pour elle, il ne lui fallait pas trop s’inquiéter : son procès était assez bon. Elle parla longtemps avec ces hommes. Ils se montraient fort sensibles à la raison, à la justice, au bon sens, et elle s’étonnait qu’avec de si honnêtes dispositions ils acceptassent comme une nécessité des assassinats monstrueux.
    Il ne restait plus qu’elle, comme femme, dans la cour. Les autres prisonnières avaient été emmenées à tour de rôle. Deux gardes nationaux populaires vinrent avec un geôlier la chercher elle aussi. Ils lui firent traverser la grande cour puis le second guichet, plein de sans-culottes en armes, de gardes, de fédérés. Dans le premier guichet, non moins rempli de carmagnoles et d’uniformes, elle se trouva devant ce qui devait être le tribunal. Elle ne vit guère que cela : les uniformes et tout un brouillis de visages dans la fumée des pipes, avec des sabres nus, luisants. Elle entendit un des hommes serrés autour d’une table, où ils consultaient des papiers ou des registres, déclarer : « Vous êtes M me  de Tourzel. – Oui, monsieur. » Il la questionna de la même façon à peu près que l’avaient fait les gens, dans la cour. Elle répondit de même. Quand un autre homme, au visage rougeaud, lui reprocha d’un ton rude d’avoir accepté de « servir les tyrans », elle répliqua sans s’émouvoir : « Lorsque je pris la charge de veiller sur M. le Dauphin, après le 14 juillet 1789, nul ne considérait le Roi comme un tyran. L’Assemblée nationale venait de le proclamer restaurateur de la liberté française. » Il y eut un brouhaha plutôt approbateur, puis des cris de « Vive la nation ! » dans lesquels se perdit une phrase que le président prononça en levant son chapeau. L’interrogatoire n’avait pas duré cinq minutes.
    M me  de Tourzel se sentit prise au bras. Elle se tourna, reconnut le municipal qui avait enlevé Pauline. « Vous êtes libre, disait-il. Venez vite. » Plusieurs sans-culottes, sabre au poing, passèrent devant eux, ouvrirent la porte du guichet en clamant : « Vive la nation ! » et agitant leurs chapeaux ou leurs bonnets au bout de leurs armes. Ainsi annoncée, protégée, la marquise franchit le seuil, mais, à l’entrée de la rue des Ballets, elle recula d’horreur : dans la lumière matinale, le pavé luisait de pourpre. Une masse de cadavres mutilés et de vêtements sanglants s’entassaient contre les murs. Deux hommes entièrement arrosés de rouge se tenaient là-dessus, levant déjà leurs sabres, quand les gardes les leur firent baisser. « Le serment ! Le serment à la nation ! réclamait le peuple. – Elle l’a déjà prêté », répondit Hardy. Il appela d’un geste quelques autres sectionnâmes en renfort, et, à eux tous, ils emmenèrent la marquise jusqu’à la rue

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