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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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L’un des tueurs tira en arrière M me  de Lamballe par sa robe qui se déchira. Un autre lui plongeait son sabre dans le ventre. Elle échappa aux mains du garde avec un cri terrible et tomba en arrière dans la rue du Roi-de-Sicile où un troisième massacreur l’acheva aussitôt d’un coup de bûche. L’affreuse chose s’était faite si vite qu’aucun des protecteurs de la malheureuse n’avait pu intervenir. Hardy restait encore sur le seuil de la prison, à trois pas des assassins. Quant à Nicolas, il avait vu les gestes sans avoir le temps de les comprendre. Il ne les conçut qu’à l’instant où ils s’achevaient et il dut alors s’appuyer au mur pour ne point tomber en faiblesse. La foule elle-même semblait émue. Puis des cris s’élevèrent : « M me  de Lamballe ! C’est la Lamballe, la mignonne de l’Autrichienne ! » La sauvagerie se réveilla. Avec des exclamations, des bravos, des gens se précipitèrent vers la victime qui disparut dans un rassemblement de populace. Soudain Nicolas, définitivement soûl d’horreur cette fois, vit paraître au bout d’une pique la tête exsangue, bouche ouverte, les yeux révulsés, sa longue chevelure blonde flottante. Aux accents du Ça ira et de la Carmagnole, une espèce de cortège de mégères, d’hommes à moitié ivres, maculés de sang, se forma derrière le porteur de l’atroce trophée et descendit la brève rue des Ballets, abandonnant dans le ruisseau, en pleine illumination du soleil, le corps nu dont la blancheur ressortait entre des taches et des filets rouge vif. Et sur ce corps au cou haché, aux jambes ouvertes qui gardaient un bas sali, des cannibales s’acharnaient, arrachant le cœur, découpant le sexe. Ils les promenèrent tout le jour de cabaret en estaminet où finalement l’un d’eux fit griller ce cœur et le mangea.

XXI
    La veille au soir, Claude, en quittant la Chancellerie, était allé aux Jacobins où nul ne dit mot des massacres. Le danger de la patrie, la situation militaire, les soupçons contre Roland et Brissot, la défense de la Commune que l’Assemblée nationale s’efforçait sournoisement de dissoudre ou de paralyser, et que certains, comme Louvet, Laclos, attaquaient au sein même du club : on ne voulait parler et entendre parler de rien autre. Les uns se taisaient par conviction, les autres par peur, les autres par hypocrisie. À onze heures, la séance levée, Claude sortit avec Robespierre. La rue SaintHonoré était calme à la lueur des réverbères, la lune montait derrière Saint-Roch. Il semblait incroyable qu’en ce moment, dans Paris, des êtres humains fussent égorgés par douzaines. Cette idée hantait Claude. Maximilien, avec un abandon singulier, lui avait pris le bras. Recrus des fatigues du corps et de l’esprit, ils marchaient en silence. Brusquement, Claude dit à voix basse : « Ni toi, ni Danton, ni Marat je présume, n’avez vu les victimes, ces entassements. C’est horrible.
    — Hélas ! soupira Robespierre, crois-tu que j’aie le cœur tranquille ? Ce que Marat veut, ce que Danton accepte, comment l’empêcherions-nous ? Danton tient tout dans sa main, son pouvoir est aussi grand que son ambition. Ce sont des forces dévorantes. Je te le répète : je voudrais être assez puissant pour modérer les convulsions d’une société qui se débat entre la liberté et la mort. Voilà toute mon ambition, à moi, mais que suis-je ! » Un instant plus tard, après avoir dépassé le Manège où les fenêtres du haut, éclairées, montraient que l’Assemblée siégeait encore, à faible effectif sans doute, comme ils arrivaient devant l’Assomption dont le dôme luisait au clair de lune, Maximilien ajouta : « Nous payons à l’humanité le tribut de notre affliction. Une créature sensible ne saurait s’en empêcher, c’est néanmoins une faiblesse, car ceux que l’on immole aujourd’hui opposaient leur égoïsme au progrès, ils se sont condamnés eux-mêmes. »
    Le porche de la maison Duplay s’ouvrait là, entre deux boutiques. « Viens donc, proposa Robespierre à son ami. Reste avec moi puisque tu es seul, nous veillerons ensemble. » Ils franchirent la longue voûte obscure au bout de laquelle la petite cour était grise de lune. Maximilien s’arrêta un instant au cabinet d’aisance qui se trouvait à droite, au débouché de la voûte. De l’autre côté, le vitrage de l’atelier obscur brillait. On respirait l’odeur des copeaux. Au

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