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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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une note pour les commissaires de la section de l’Arsenal, opérant au Dépôt des innocents : « Gardez-vous bien, citoyens, de relâcher le sieur Weber. Je vous envoie cinq hommes de la section de 1792 qui l’amèneront ici. » Cet avis, rapporté par le jeune garde national, plongea les commissaires dans l’étonnement et provoqua chez l’intéressé une recrudescence des pires craintes. Il entendait répéter : « C’est incompréhensible. Il faut que le tribunal ait été induit en erreur à son propos. » Il y avait là d’autant plus sujet d’inquiétude que le faubourg ne balançait guère à rectifier les décisions dudit tribunal. Ainsi, un bel homme assis près de Weber venait d’être emmené par quatre sectionnaires chargés, disaient-ils, de le reconduire en sûreté chez lui. Cinq minutes plus tard, un officier municipal, à en juger d’après son écharpe, entra et, parlant à des membres du comité de l’Arsenal, dit tout haut que le peuple, estimant cet homme innocenté par erreur, l’avait massacré sitôt dehors. Encore qu’il fît assez frais dans l’église, Weber sentit la sueur lui couler entre les épaules.
    Les gardes à piques annoncés par Chénier arrivèrent sur ces entrefaites. Il était cinq heures. L’Autrichien demanda instamment que l’on attendît la nuit pour le transférer. Les commissaires, émus par ce qui venait de se passer, consentirent et, pour plus d’assurance, le conduisirent auprès du bureau de la section. Un peu de temps fut gagné de la sorte, mais l’escorte murmurait. On n’allait plus pouvoir lui faire prendre patience, lorsqu’un groupe de gens, mal distinct dans la pénombre, entra. Ils s’avancèrent et Weber faillit pousser un cri de bonheur, car il reconnaissait, en habit bourgeois, ses meilleurs camarades, grenadiers comme lui, tous fidèles royalistes sous les prudents dehors de circonstance. Ils venaient, annoncèrent-ils, en députation envoyée par la section de 1792 pour remercier celle de l’Arsenal d’avoir pris soin du citoyen Weber. L’un d’eux, premier sergent jusqu’au 10 août, remit au président du comité un certificat par lequel, dit-il, « vous verrez que notre section réclame son ressortissant et désire le revoir dans son sein ». Effectivement, outre les ci-devant grenadiers, beaucoup de gens du quartier, ex-feuillants et anti-jacobins, s’étaient intéressés au sort de Weber et avaient obtenu du bureau ce certificat, d’ailleurs sans opposition de la part de Chénier. Ce qu’il voulait, c’était ravoir l’Autrichien.
    Tout s’aplanit aussitôt, tout fleurit, même le langage du président. « Je suis charmé, monsieur, dit-il, de vous voir réclamé d’une façon si authentique et si flatteuse, et je ne suis point du tout surpris par les procédés de vos camarades envers vous, car je n’ignore rien de votre conduite. Je vous prie même de croire que j’aurais fini par répondre de vous. Je vous connais par la famille de M. de Simonin avec laquelle j’ai passé chez vous, à Versailles, une soirée bien agréable en 1788. » (M. de Simonin était alors l’administrateur général de la loterie.) « Je me serais fait un vrai plaisir de vous reconduire à votre section. » Un vrai plaisir ? Sans doute. C’était assurément un honnête homme, mais prudent. Il eût pu dire tout cela plus tôt. Weber le remercia néanmoins sans ironie. Après avoir visé l’enrôlement signé par Lhuillier, le brave président dressa un procès-verbal de toute l’affaire en lui imprimant le tour le plus favorable. Il confia ces divers papiers aux deux commissaires du Dépôt. Ceux-ci partirent avec Weber, au milieu des hommes à piques. Les grenadiers en civil entouraient exactement le groupe, de façon que les gardes à piques ne pussent communiquer avec le peuple pour lui annoncer, peut-être, que l’on sauvait un royaliste. On sortit non dans la rue Saint-Antoine, mais par les cours donnant sur la venelle de l’Égout-Sainte-Catherine, assez obscure. Le jour tombait.
    En évitant les voies principales, les grandes places, on parvint à sept heures, après un long trajet, rue des Filles-Saint-Thomas, au débouché de la rue Vivienne. Il y avait là une affluence, dans la cour du petit couvent où la porte de la chapelle, sur son seuil à trois marches, découpait une arche de lumière. À l’intérieur, l’assemblée de la section réunissait une assistance exceptionnellement nombreuse,

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