Les autels de la peur
pour jeter la discorde parmi nous et distraire la Convention des tâches urgentes qu’elle doit accomplir ? Que les cœurs purs se réunissent au mien. Avec tous les vrais patriotes, marchons aux grandes mesures, seules capables d’assurer le bonheur du peuple. Je suis prêt à lui sacrifier ma vie. »
Les tribunes, les galeries approuvèrent avec transport. La salle restait stupéfaite. Au regard de bien des députés, cette froide audace semblait révéler un homme d’État. La Montagne et la Plaine flottaient entre l’admiration et l’horreur de l’individu qui proposait pour toute institution un bourreau national. Quant à la Gironde, c’était l’excès de son indignation qui la rendait muette. Les Brissotins avaient le dessein de discréditer la députation parisienne et délivrer la Convention de l’odieux Marat en le faisant décréter d’accusation. Or, voilà que la Convention se laissait dominer par lui ! Vergniaud, leur porte-parole, contre-attaqua.
« S’il est un malheur pour un représentant du peuple, dit-il, c’est celui de remplacer à cette tribune un homme chargé de décrets de prise de corps qu’il n’a point purgés…
— Je m’en fais gloire, l’interrompit Marat.
— Ce sont les décrets du despotisme ! s’exclama Chabot.
— C’est un honneur d’avoir été poursuivi par les séides de La Fayette, déclara Tallien.
— … un homme décrété de prise de corps, répéta l’orateur de la Gironde, et qui a élevé sa tête audacieuse au-dessus des loi, un homme tout dégouttant de calomnie, de fiel et de sang. »
La violence de ces termes provoquant des protestations, Ducos s’écria : « On a fait l’effort d’entendre Marat, je demande que l’on écoute Vergniaud. » Les tribunes répondirent en vociférant, en trépignant avec fureur. Pétion secouait vainement sa sonnette. Enfin il parvint à dominer le tumulte et rappela le public au respect de la représentation nationale. Le calme se rétablit. Vergniaud se mit à lire la circulaire de la Commune aux départements, rédigée par Marat : celle que Claude avait refusé de signer. Puis il rappela que, pendant les massacres, la Commune avait, par la voix de Robespierre, dénoncé un prétendu complot tramé par lui-même, Vergniaud, avec Brissot, Guadet, Ducos, Lasource, Roland, Condorcet, pour livrer la France au duc de Brunswick. « Robespierre, sur lequel je n’avais eu jusque-là que des paroles d’estime…
— Cela est faux ! se récria Sergent avec un instant de retard. Robespierre n’a jamais désigné ni toi ni personne comme auteur de ce complot. Il n’a prononcé aucun nom. » Ce qui était inexact. Maximilien avait parfaitement nommé Brissot, désigné la Gironde et plus précisément la commission des vingt et un.
Vergniaud cependant ne protesta pas. « Fort bien, dit-il. Je parle sans amertume et je me félicite de cette dénégation. Elle prouve que Robespierre aussi a pu être calomnié. Il n’en reste pas moins que l’on a rendu suspects les représentants de la nation. Aujourd’hui, l’individu Marat, dans ses feuilles, voue la Convention aux poignards des égorgeurs. Dans le même temps, il vous propose d’ériger le meurtre en système de gouvernement. Que des hommes chargés de parler au peuple de ses devoirs, de faire respecter la loi, prêchent le crime et en fassent l’apologie : voilà un surprenant degré de perversité. Si nous nous élevions à la hauteur de l’entendre, toute morale serait bannie de la terre, il faudrait dire adieu au genre humain. »
Ce discours, dont seules les invectives étaient fortes, n’avait pas produit grand effet. Tout le monde connaissait la circulaire de la Commune. Depuis le temps, l’indignation là-dessus s’était émoussée. Il en fut tout autrement quand Boileau vint lire le placard de Marat, cité seulement par Vergniaud. « Tous mes efforts pour sauver le peuple n’aboutiront à rien sans une nouvelle insurrection. À voir la trempe de la plupart des députés à la Convention nationale, je désespère du salut public. Si, dans les huit premières séances, les bases de la Constitution ne sont pas posées, n’escomptez plus rien de cette assemblée. Cinquante ans d’anarchie vous attendent, et vous n’en sortirez que par un dictateur, vrai patriote et homme d’État. Ô peuple babillard, si tu savais agir ! »
Des exclamations furieuses avaient ponctué cette lecture. La conclusion fut saluée
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