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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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contre laquelle il avait parlé en vain, et le projet de loi pour réprimer la provocation au meurtre. Mais à celui-là il n’était pas lui-même opposé, bien au contraire. Si Marat lui inspirait à présent du respect, il ne réprouvait pas moins en lui l’apologiste de l’assassinat, et il serait heureux de voir s’élever de solides barrières contre un nouveau recours au massacre. Son impuissance à empêcher les exécutions sommaires dans les prisons le tourmentait de remords. Il évitait l’arcade du Châtelet, le Pont-au-Change, entachés pour lui d’abominables souvenirs.

III
    La pauvre Gabrielle-Antoinette Danton, qui, elle, n’avait pourtant point vu les victimes entassées, ne les oubliait pas non plus. Elle vivait dans l’obsession de cette boucherie dont son mari portait, et revendiquait même parfois, la responsabilité. Pour elle, le malheur avait commencé la veille du 10 août, et elle confiait à ses amies intimes que rien ne serait plus jamais comme avant. Elle continuait de dépérir. Sa belle-sœur : M me  Charpentier, Lucile Desmoulins, Lise, Gabrielle Dubon tâchaient de la distraire. Le soir, après avoir travaillé dans les églises où l’on cousait des habillements pour les soldats, elles l’emmenaient à l’Opéra, à la Comédie, tandis que leurs époux étaient au club – devenu Société des Amis de la Liberté et de l’Égalité. Gabrielle-Antoinette s’efforçait de faire bonne figure, elle se montrait toujours charmante pour tous, mais son sourire était las et sans confiance. Pourtant elle aurait eu toutes les raisons de se réjouir. Son mari, préférant aux fonctions ministérielles son mandat de député, ils avaient déjà quitté cette Chancellerie qu’elle n’aimait pas. Elle retrouvait leur logement de la cour du Commerce où elle avait été si heureuse. Et Danton, modéré par l’exercice du pouvoir, par le succès, jouissait maintenant d’une considération universelle. Les Girondins eux-mêmes, hormis les sigisbées de l’irréductible Manon Roland, lui manifestaient leur faveur. Il fut le seul député de Paris et, avec Claude, l’un des deux seuls anciens membres de la Commune, que la Plaine et la droite élurent au Comité de constitution. Les Brissotins marquaient ainsi leur défiance persistante envers Robespierre. En vérité, depuis la bataille du 25, la majorité ne cessait de frapper la Commune pour la réduire à son rôle exclusivement administratif et municipal. On avait rétabli le directoire du Département. On réclama des comptes au Conseil général. Des justifications furent exigées du Comité de surveillance. La Commune se défendait âprement. Au milieu de ces débats passionnés, la retraite des Prussiens passa presque inaperçue.
    Laissant ses lieutenants surveiller jusqu’à la frontière l’armée de Frédéric-Guillaume, Dumouriez était rentré, triomphant, à Paris. Il eut les honneurs de l’Assemblée, à laquelle il offrit un drapeau pris aux Prussiens. Claude le revit à l’Opéra où le général était allé chercher une ovation. Elle ne lui fut pas ménagée. Il se tenait debout avec Danton dans la loge ministérielle. Claude venait des Jacobins rejoindre Lise. En même temps que lui, entrèrent M me  Roland et Vergniaud, descendant d’une voiture du ministère où Dumouriez avait soupé avec les principaux Girondins. M me  Roland portait un bouquet de lauriers-roses que le général lui avait remis comme pour lui faire hommage de la victoire. Avec ses boucles très noires, son teint rehaussé par l’excitation, ses lèvres sanguines, la clarté de ses épaules dans une mousse blanche piquée, à la naissance de la gorge, d’une cocarde, elle était en beauté, ce soir : une beauté singulièrement sensuelle pour une femme si froide. Claude la complimenta galamment. Elle sourit. Les applaudissements que l’on entendait crépiter dans la salle, c’était son triomphe à elle aussi, et il la grisait un peu. Vergniaud s’effaçait devant la loge pour laisser entrer la jeune femme. Elle avança d’un pas, puis s’arrêta brusquement. Par la porte ouverte, elle voyait Danton à côté de Dumouriez. Le visage de Manon s’était figé. Son sein se gonfla comme si elle avait perdu le souffle et le reprenait. « Sortons d’ici ! Sortons ! » dit-elle, entraînant Vergniaud.
    Claude ne parla qu’à Lise de cet incident. Pourtant Danton l’apprit dès le lendemain. Ce n’était rien : une humeur de

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