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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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mandats non point pour les faire égorger, comme on nous en accuse absurdement, mais pour les contraindre à demeurer ici. Il était illégal de les arrêter, oui. Tout ce que nous avons fait était illégal. Nous avons usurpé tous les pouvoirs, oui encore. Eh bien, nous avons illégalement sauvé la patrie. »
    Une voix tomba de nouveau des hauteurs sombres de la Montagne, insistant : « Je demande à être entendu. » Pétion acquiesça enfin. « La parole, annonça-t-il, est au citoyen Marat. »
    Le nom, l’aspect du personnage provoquèrent une rumeur. Petit, osseux, la tête haute, avec un air de défi il traversait la piste, vêtu d’un pantalon et d’une carmagnole ouverte surune chemise au col lâche, un mouchoir par-dessous en guise de cravate, un anneau d’or à l’oreille. Quand il commença de gravir les degrés, des cris éclatèrent : « À bas ! à bas ! » contre lesquels les galeries populaires protestaient. Bientôt ce fut un tumulte. À la tribune, l’ami du peuple attendait froidement en considérant la salle avec dédain. Vue de loin, éclairée d’en haut, sa figure, sous la calotte des cheveux très noirs, ne manquait ni d’éclat ni de puissance. On ne distinguait plus les irrégularités de son teint dont ressortait seul le bistre accentué. Les larges yeux brillaient sous les paupières lourdes. Le jour soulignait d’ombres le retroussis méprisant des lèvres, la fente du menton, les deux plis qui creusaient l’épaisseur des joues en partant des narines épatées et mobiles. Appuyé des poings surla tablette, il finit par s’imposer, plus à la curiosité qu’au sentiment de la justice. Lacroix réclamait le silence « même pour Marat ». On se tut et l’on attendit ce qu’allait dire l’atroce individu. Sa voix, forte, posée, surprit. « J’ai dans cette assemblée, commença-t-il calmement, un grand nombre d’ennemis personnels.
    — Tous ! Nous le sommes tous ! » lui cria la droite. Il marqua un temps et reprit plus calmement encore : « J’ai dans cette assemblée un grand nombre d’ennemis personnels. Je les rappelle à la pudeur. Qu’ils m’écoutent un instant. Je n’abuserai point de leur patience. On agite parmi nous un fantôme propre à intimider les âmes faibles. On tâche à dépopulariser la députation de Paris en l’accusant de viser au tribunat. Je rends grâce à ceux qui me fournissent ainsi l’occasion d’affirmer que les citoyens Danton et Robespierre ont constamment repoussé toute idée de dictature. Si quelqu’un est coupable d’avoir répandu dans le public cette idée, c’est moi, moi seul. Si c’est un crime, j’appelle sur ma tête le châtiment national. Mais avant de me frapper, que l’on veuille au moins m’entendre. »
    Étonné par la dignité, la fermeté courageuse de ces paroles contrastant avec les vociférations et le désordre des Brissotins, et aussi avec la peu noble façon dont Danton, Robespierre s’étaient séparés de Marat, Claude l’écouta faire sobrement un tableau des perfidies de la Cour, des menées du feuillantisme dans l’Assemblée législative, évoquer les trahisons des généraux aristocrates, les rivalités des partis, enfin toutes les funestes circonstances qui avaient amené la France au bord de l’abîme. « M’imputerez-vous à crime, poursuivit-il, d’avoir alors attiré sur les traîtres la hache vengeresse du peuple ? Dans ce cas, il vous désavouerait. Car, obéissant à ma voix, il s’est fait lui-même dictateur et il a su se débarrasser seul des scélérats. J’ai frémi de ses mouvements impétueux en les voyant se prolonger. Pour qu’ils ne fussent pas éternellement vains et aveugles, j’ai demandé de nouveau que la nation donnât une autorité momentanée à un bon citoyen, juste et ferme, connu par son ardent amour de la liberté : un homme sage et fort qui, dénommé dictateur ou tribun du peuple, peu importe le nom, dirigerait ses actes et les ferait servir au salut public. Telle est mon opinion, je n’en rougis pas. Si vous n’êtes pas à la hauteur de l’entendre, tant pis pour vous. Si elle avait été adoptée au lendemain de la Bastille, si ce tribun avait abattu cinq cents têtes de machinateurs, tout aujourd’hui serait, tranquille ; la liberté, la justice régneraient dans l’empire. Au lieu de quoi, nous marchons encore vers de nouvelles traîtrises et des convulsions sanglantes. Ouvrez les yeux. Ne voyez-vous pas un complot

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