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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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vénéneuse : « On vous a dénoncé des projets de dictature, de triumvirat. Ils ont existé. On m’a accusé de manquer de courage. Je demanderai où fut le courage, dans les jours lugubres qui suivirent le 2 septembre : chez les hommes qui dénonçaient les assassins, ou chez ceux qui les protégeaient ? »
    Manon, outragée, cédait, elle aussi, imprudemment, à la colère en visant Danton par ces derniers mots. Il haussa les épaules. La nécessité d’une entente avec les Brissotins lui semblait si évidente qu’on le sentait prêt encore à tout pour enterrer ces querelles. Le moindre signe de bonne volonté le ramènerait. Claude résolut de s’entremettre. Le soir même, allant avec Lise rue Neuve-des-Petits-Champs un peu avant l’heure où arrivaient les commensaux habituels, il trouva la maîtresse de maison seule avec sa grande amie M me  Brissot. Lise s’empara de celle-ci, et Claude entreprit de faire la morale à Manon. S’autorisant de leurs longues relations, il lui demanda la permission de parler avec une entière franchise. « Votre inimitié avec Danton, lui dit-il, met en péril la chose publique. En vous frappant l’un l’autre, vous portez à la nation les coups les plus graves. Vous faites la joie, et vous finirez par faire le succès de nos ennemis. Certes, Danton ne manque point de défauts. Je vous avouerai qu’il m’a été longtemps peu sympathique, je garde même une défiance pour certain côté de son caractère. Assurément, sa brutalité, sa vulgarité, plus affectées que réelles, au demeurant, ses manières et ses appétits d’ogre, sont bien de nature à choquer une femme de votre qualité. Il a cependant une vertu que l’on ne peut mettre en doute : la générosité de son cœur. Et laissez-moi vous dire ceci : il existe dans ce cœur quelque chose comme du dépit amoureux. Non, ne vous courroucez pas. Cela n’est point offensant. Danton a eu beaucoup d’admiration pour vous. Il en a toujours, au fond, non seulement pour votre beauté, mais pour votre caractère. Vous lui avez opposé une froideur, puis un dédain qui ont fini par l’aigrir à votre endroit. Pourtant, il vous serait aisé encore de le reconquérir. Il en vaut la peine. Danton, c’est la puissance. Vous avez réuni autour de vous tous les talents, mais ni Buzot ni Brissot ni Vergniaud ni Condorcet ni les Marseillais n’ont et n’auront jamais la force populaire. Elle est dans la main de Danton. Prenez cette main, sinon elle pourrait bien, un jour, se tendre vers Marat. Je vous conjure de penser à ce que serait la Convention, soudée dans l’union des meilleurs d’entre nous, et appuyée par la puissance du peuple. Tel est le souhait de Danton, je vous l’affirme de la façon la plus formelle. Je vous assure que vous tenez le sort de la République entre vos mains. »
    Manon avait écouté sans un mot, avec un sursaut seulement à l’évocation du dépit amoureux. Assise à son petit bureau, dans l’embrasure, elle crayonnait distraitement. Ses cils longs et recourbés battaient parfois. « Vous avez peut-être raison, dit-elle en relevant la tête. En tout cas, je vous remercie de m’avoir parlé de la sorte. » Elle voulut retenir Claude et Lise à souper, mais ils devaient rentrer chez eux pour recevoir l’évêque Gay-Vernon avec les autres députés de Limoges. « Eh bien, dit M me  Roland, je ferai part de vos propos à la réunion de nos amis. »
    Claude savait Sieyès, qui maintenant fréquentait beaucoup le salon Roland, partisan d’une entente avec Danton. Tout en le détestant presque autant que Robespierre et Marat, ses bêtes noires, Sieyès mesurait sa puissance. Voulant le tenir à l’écart des deux autres, il prônait une alliance avec Danton et Dumouriez. Condorcet s’y montrait également favorable. Dans son journal, Chronique de Paris, il le traitait avec égard. Aussi Claude ne fut-il pas surpris en recevant, le lendemain, un billet de M me  Roland. « Nos amis, écrivait-elle, sont disposés à une rencontre qui aurait lieu sur un terrain neutre, en présence du général. » Évidemment, Roland et sa femme ne pouvaient passer tout d’un coup l’éponge pour inviter chez eux celui qui les avait si grossièrement injuriés à la tribune. Du moins Manon donnait-elle une preuve de bonne volonté. Claude s’empressa d’en prévenir Danton. Celui-ci, peu après, l’informa que Dumouriez les priait tous à sa table. Les choses semblaient

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