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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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avait le génie, involontaire, de diviser. Mais à présent il ne restait d’autre ressource que de se retourner vers lui. Il ne s’y prêtait guère, se tenait à l’écart. Son insuccès oratoire, dans sa défense contre Barbaroux et Rebecqui, la victoire de Marat, la nomination de Danton et de Claude au comité de Constitution, avaient irrité sa susceptibilité ombrageuse. Claude louvoya, agissant sur Panis, sur Augustin Robespierre, d’autre part sur Legendre et le briviste Brune rentré pour quelques jours à Paris, – depuis le 10 août, après une brève mission en province, il était aux armées. Dubon agit également sur les Cordeliers membres des deux clubs. Et, le 10 octobre, avec le consentement de Maximilien, les Jacobins, qui venaient d’exclure Brissot pour avoir de nouveau attaqué la Commune, élurent Danton à la présidence.
    Il ne mit aucun empressement à profiter de cet honneur. Le 12 seulement il vint présider, puis on ne le revit plus. Lui aussi, dégoûté, il se retirait une fois de plus sous sa tente. La Plaine, à la Convention, lui cherchait noise à propos de ses comptes. Au ministère, il avait fait valser les fonds secrets. Il n’en pouvait fournir aucune justification et entrait en fureur lorsque Cam-bon, comptable exigeant, lui en réclamait. Allait-on chicaner sur quelques malheureuses centaines de milliers de livres un homme qui, jetant l’argent à pleines mains, avait sauvé la France ! Condorcet, dans son journal, reconnaissait qu’il avait agi dans l’intérêt du pays. Alors, que lui voulait-on de plus ? Excédé, il restait chez lui où il cédait à une de ses crises de pessimisme. Il prétendait, dit Desmoulins, partir pour Arcis et laisser se débrouiller tous ces imbéciles.
    Claude et Legendre allèrent ensemble le relancer. Ils le trouvèrent dans son salon, en chaussons et pantalon de piqué sous une chaude robe de chambre, en train de lire. Il reçut cordialement ses deux amis, les écouta d’un air maussade lui expliquer que son absence, aux Jacobins, faisait très mauvais effet. « C’est bon, c’est bon, répliqua-t-il, on ira. Mais ce n’est plus une vie. Après tout ce que j’ai accompli, ne puis-je donc me reposer ? Vous n’imaginez pas combien je suis las d’entendre parler des affaires publiques par des ânes qui n’y comprennent rien et ne veulent rien savoir de la vérité.
    — On a besoin de toi plus que jamais, affirma Legendre. Ta présence à la société est nécessaire.
    — J’irai, à la condition que vous soupiez ce soir avec moi. Il y aura un salmis de mouton dont je vous promets merveille. J’ai un quarteau de vin blanc d’Auvergne avec lequel nous l’arroserons. Camille sera là, avec Lucile. Toi, Claude, amène ta belle Lison. Nous tâcherons d’égayer Antoinette. Après ça, eh bien, puisqu’il le faut, je vous suivrai rue Saint-Honoré. »
    Au début de ce repas, il tint des propos amers. « Où va-t-on et que veut-on ? Nous aurons bientôt l’Angleterre sur les bras malgré tout ce que j’ai entrepris pour gagner sa neutralité. Faute d’avoir poursuivi les négociations engagées par moi avec la Prusse, elle restera liée à l’Autriche. Ce n’est pas avec un ministère de frères-coupe-choux, comme dit Marat, qu’on imposera la paix à l’Europe. Au surplus, nous vivons dans une atmosphère de guerre civile. Le pain à huit sous la livre ! c’est incroyable. Et il commence de manquer. Comment veut-on que les ouvriers subsistent avec leurs trente sous par jour ? Rien n’est organisé ni en passe de l’être. Tous les résultats que j’avais obtenus sont compromis. La Convention oublie ce que je vaux et de quoi je suis capable. Moi seul ai les reins assez solides pour fixer la Révolution, mais on essaie de me briser avec cette histoire de reddition de comptes. Les Brissotins sont fous : je leur offre mon amitié, ils la repoussent. Veulent-ils me voir sceller une alliance avec Robespierre et Marat ? Alors, malheur à eux ! malheur à nous ! » Soudain, rejetant d’un tour d’épaules ces sombres pensées, il se mit à plaisanter pour faire rire les dames.
    Il présida, ce soir-là et le surlendemain, les Jacobins ulcérés par un terrible pamphlet que Brissot avait lancé en riposte à son exclusion. Puis il s’éclipsa de nouveau. De plusieurs jours, on ne le revit pas. Dubon n’était pas seul au club à prendre de l’humeur contre ce « président fantôme ». Bentabole

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