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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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déplora non sans amertume ce dédain. Legendre, Fabre, Desmoulins et Claude défendaient Danton avec peine. « J’ai le sentiment, confia Claude à Lise, qu’il éprouve autant de répugnance à s’unir décidément avec Robespierre, qu’en ont montré les Brissotins à s’allier avec lui. » Ses flottements rendaient la situation plus incertaine encore dans les circonstances difficiles où il allait bien falloir aborder la question du sort de Louis XVI. La Convention avait été formée pour cela, et l’éventualité d’un procès dans une atmosphère si nerveuse tourmentait vivement Claude. Il ignorait que Danton y songeait encore davantage, et que le refus des Girondins l’exaspérait d’autant plus. Là-dessus il ne pouvait se livrer à aucun de ses amis, même aux plus intimes : Fabre et Camille.
    Peu après sa réinstallation cour du Commerce, il avait eu une visite. Un matin. Il était encore au lit. Gabrielle-Antoinette était venue l’avertir qu’un citoyen le demandait ; il ne voulait pas dévoiler son nom, il semblait anxieux et pressé. Le premier mouvement de Danton avait été de l’envoyer au diable. Sur l’insistance d’Antoinette, il accepta cependant de recevoir l’importun. En le voyant, il demeura stupéfait. Congédiant d’un geste brusque sa femme, il s’exclama : « Malheureux ! que faites-vous dans cette ville ? Vous êtes en danger de mort. » Et il l’étreignit affectueusement. C’était Théodore de Lameth.
    « Excusez-moi, dit-il, d’avoir forcé votre porte. Votre femme elle-même m’a révélé que vous étiez là. Sa bonne grâce m’a confirmé dans l’idée que j’entrais chez un ami.
    — Assurément. Mais vous êtes fou de circuler comme ça dans Paris.
    — Je suis soldat, j’accomplis une mission. Je suis venu vous trouver pour que vous nous aidiez à sauver le Roi. » Comme Danton sursautait, l’ancien colonel poursuivit : « Nous comptons sur vous. Nous savons que vous êtes, au moins directement, étranger à la déposition du Roi. Sauvez-le, et il ne restera de vous que de glorieux souvenirs.
    — Le Roi, répondit Danton en secouant la tête, est le premier responsable de ses malheurs. Tout ce que vous déplorez est son ouvrage.
    — Non. Vous ne partagez assurément pas les erreurs de la foule. Comment, d’ailleurs, mettrait-on en jugement celui qui, de tout temps et par la volonté de toute la nation, est impeccable, inviolable ! »
    Cette fois, Danton haussa carrément les épaules. « Quel enfantillage ! mon pauvre ami. Qu’est-ce là pour ceux qui veulent et peuvent ? Charles I er a-t-il été tué légalement ?
    — Vous croyez donc que la majorité de la Convention condamnerait le Roi ?
    — Sans aucun doute. Retenez bien ceci : s’il est mis en jugement, il est perdu.
    — Mais enfin, se récria Lameth, accablé, il y a des gens de cœur à la Convention ! Les Girondins, quelque coupable qu’ait été leur conduite, ne le condamneront pas. Leur parti est nombreux.
    — Belle ressource, en vérité ! fit Danton avec colère. Les Brissotins ! Ce sont eux qui l’ont conduit où il en est. Ils en sont effrayés, ils prononceront de beaux discours et finiront par le condamner, tous. Vous ne connaissez donc pas ces gens-là ? »
    Il y eut un bref instant de silence, puis Lameth : « Danton, il faut faire évader le Roi ou l’arracher du Temple par un mouvement audacieux.
    — Ça, c’est une autre affaire. Elle est à débattre et coûtera fort cher. Je ne dis pas que je ne seconderai point des efforts tentés dans cette direction. Quant à sauver un roi mis en jugement, non. Il est mort quand il paraît devant ses juges.
    — Ce que vous dites est épouvantable de vérité, avoua Lameth, très pâle. Mais qu’attendre du plus affreux des crimes, sice n’est de voir ensuite la France s’en couvrir, de voir haïr votre République par ceux qui, privés de lumières ou de réflexion, croient à la possibilité de son existence ?
    — Faites donc entendre cela à Robespierre, à Marat, à leurs adorateurs !
    — Enfin, vous, Danton, que voulez-vous, que pouvez-vous ?
    — Ce que je peux, ce que je veux ! répondit-il avec un ton et, un mouvement d’amertume. J’ignore ce que je peux. Dans la situation où nous sommes, que peut affirmer pour demain l’homme le plus populaire ? Terminons : je ne veux me montrer ni meilleur ni pire que je ne suis. J’ai toute confiance dans votre caractère.

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