Les autels de la peur
s’y opposa. Il le qualifia de roman diffamatoire. Avant de le publier, la Convention se devait d’entendre ces prétendus hommes du 2 septembre que l’on calomniait, lui tout particulièrement. Il voulut entreprendre sa justification. Les clameurs couvrirent sa parole. Danton l’encourageait : « Parle, Robespierre, parle ! les bons citoyens sont là qui t’écoutent. » Réunissant toutes ses forces, Maximilien réussit à percer ce vacarme. « Je défie mes adversaires de m’accuser en face, glapit-il. Je les défie de produire contre moi une seule preuve positive. »
C’était ce que les jeunes Brissotins attendaient. Louvet tenait dans sa poche une philippique toute prête. « Moi, je t’accuse ! » s’écria-t-il. Suivi de Rebecqui, de Barbaroux, il s’élança vers la tribune. Danton en gravissait déjà les degrés. D’une voix tonnante et indignée, il proclama : « Il est temps que ce système de calomnie organisée finisse. Va-t-on cesser de nous jeter à la figure l’individu Marat ? Je l’ai dit et je le répète : j’ai fait l’expérience de son tempérament volcanique et insociable. Toute idée d’une conjuration triumvirale est absurde. Je déclare que tous ceux qui parlent de la faction Robespierre sont à mes yeux des esprits prévenus ou de mauvais citoyens. Sans doute est-il beau qu’un sentiment d’humanité fasse gémir le ministre de l’Intérieur sur les malheurs inséparables d’une grande révolution. Mais jamais trône n’a été fracassé sans que ses éclats blessassent quelques citoyens, jamais révolution complète n’a été opérée sans que cette vaste démolition de l’ordre des choses existant n’ait été funeste à quelqu’un. Faut-il donc imputer à la Commune de Paris des événements dans lesquels se satisfirent peut-être certaines vengeances particulières, mais qui furent bien plus généralement la suite de cette commotion généreuse, de cette fièvre nationale qui a produit les miracles dont s’étonnera la postérité. »
Une pareille tentative de justification des massacres souleva des murmures qui rappelèrent l’orateur à plus de mesure. S’adoucissant, il poursuivit : « Le ministre Roland a cédé à un sentiment que je respecte, mais son amour pour l’ordre et les lois lui a fait voir sous la couleur de faction, de complot d’État, de misérables intrigues sans lien et sans force. » Appelant à la conciliation, Danton demanda que le rapport ne fût point imprimé, car il ne fallait pas diviser l’assemblée. Il fallait « que la fraternité seule donnât à la Convention cette marche sublime qui marquerait sa carrière ». Cette conclusion, dans laquelle on retrouvait le Danton modéré des premières séances, lui valut des applaudissements pendant que Louvet s’impatientait.
Claude avait eu de l’amitié pour Louvet avec qui il travaillait en union étroite, au comité de correspondance des Jacobins, à l’époque de la scission feuillantine. Il gardait encore de la sympathie pour ce garçon profondément honnête, sincère, dont, au surplus, la vie amoureuse avait pour lui, Claude, et pour Lise, quelque chose de particulièrement touchant. Comme Bernard, il s’était épris d’une jeune fille qu’on lui avait refusée, en 88, pour la marier à un autre : riche joaillier du Palais-Royal. Cependant, loin de se laisser gagner peu à peu par son mari, comme Lise, M me Cholet avait quitté le sien au printemps de l’année suivante pour rejoindre Louvet aux environs de Paris, dans une petite maison où il écrivait la seconde partie de son roman : Les amours du chevalier de Faublas. Ils ne s’étaient plus quittés. Elle vivait semi-clandestinement avec lui. Encore que leur liaison fût notoire, ils n’osaient point s’afficher. Lise, émue et peu soucieuse de préjugés, avait souvent reçu avec les ménages de leurs amis jacobins celle que Louvet appelait, du nom d’une de ses héroïnes, sa Lodoïska. Grâce à l’institution du divorce, elle venait de recouvrer enfin sa liberté et allait pouvoir s’unir légitimement à l’homme auquel son cœur s’était donné dès l’abord et pour toujours.
Au lendemain du 10 août, Louvet avait avec Claude appartenu à la Commune, mais déjà ils ne marchaient plus du même pas. Après s’être fait aux Jacobins le champion de Brissot contre Robespierre et Desmoulins, le petit Jean-Baptiste n’avait cessé de tourner de plus en plus au
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