Les autels de la peur
rolandisme. Membre de la Commune et cependant hostile à presque tout ce qu’elle décidait sous l’influence de Robespierre, des Dantonistes, de Marat, il avait, on s’en souvient, tenté de soulever contre elle sa section. Il s’était vu exclure du Conseil général, tandis que démissionnait son confrère en libertinage littéraire, Laclos, lequel était parti aussitôt pour l’armée. Devenu le journaliste de Roland, le pamphlétaire de la Gironde, Louvet se montrait l’un des adversaires les plus acharnés de la députation de Paris. Claude aurait passé là-dessus, mais cet acharnement était par trop absurde. Avec son imagination romanesque, Louvet se farcissait l’esprit de fables, prenait des vessies pour des lanternes et, s’abandonnant à des aversions personnelles, envenimait toute chose. Il soufflait la discorde, quand il aurait fallu apaiser. Les sages de la droite, Condorcet, Sieyès, et Vergniaud, Brissot lui-même, ne semblaient guère contents de son ardeur à grimper à la tribune.
Il y paraissait pour la première fois. Ceux qui ne le connaissaient pas encore virent là-haut un petit homme plutôt négligé dans sa vêture, maigre, les yeux myopes, avec des cheveux blonds frisottant en demi-couronne autour d’un crâne dégarni. Louvet avait trente-deux ans, comme Claude, et il était déjà presque chauve. Il préluda d’un air batailleur.
« Une grande conspiration, dit-il, menaçait de peser sur la France après avoir trop longtemps pesé sur la ville de Paris. Vous arrivâtes. L’Assemblée législative était méconnue, avilie, foulée aux pieds. Aujourd’hui on veut avilir la Convention nationale, on prêche ouvertement l’insurrection contre elle. Il est temps de savoir s’il existe une faction dans sept ou huit membres de cette Assemblée, ou dans les sept cent trente autres qui les combattent. Il faut que de cette lutte insolente vous sortiez vainqueurs ou avilis. Il faut que vous rendiez compte à la France des raisons qui vous font conserver dans votre sein un homme sur lequel l’opinion publique se développe avec horreur. On vous a dit qu’il faut s’occuper des choses, et non pas des personnes, mais dans une conjuration les choses et les hommes sont intimement liés, et je défie bien qu’on puisse dénoncer une conjuration sans dénoncer les conjurés. C’est aussi le moment de relever une absurdité politique, bien maladroitement avancée : c’est que, dans une république, il ne peut exister de factieux. Or l’expérience des siècles atteste que les factions sont les maladies presque périodiques des républiques. Enfin, on vous a dit qu’il ne fallait pas accuser le peuple de Paris, mais ceux-là l’ont calomnié qui lui ont attribué les horreurs commises par quelques personnes couvertes de son masque et de son nom. Leur masque, je l’arracherai. Leur nom, je le dirai : je vais rendre à chacun ce qui lui appartient. Soutenez-moi de votre attention. Et vous, citoyen président, tâchez qu’on ne m’interrompe point ; car, dès que je toucherai le mal, les blessés crieront. J’ai à dire des vérités qui déplairont mortellement à quelques-uns.
— Touche le mal, lança Danton. Vide l’abcès, nous t’applaudirons. »
Ce qui lui valut de Louvet ce coup au passage : « Je pourrais m’étonner que Danton, que personne n’attaquait, se soit élancé à cette tribune pour se déclarer inattaquable, qu’on soit venu tout d’un coup et d’avance désavouer un collègue, comme si on ne s’en était pas servi dans la combinaison d’un grand complot qui a existé. Les faits vont le démontrer. Je comparerai à la révolution du 10 août celle du 2 septembre. Robespierre, c’est de l’ensemble de vos actions et de votre conduite que sortira l’accusation. »
Remontant au mois de décembre précédent, c’est-à-dire au duel oratoire Robespierre-Brissot à propos de la guerre, Louvet poursuivit : « Ce fut alors qu’à travers les inculpations dont une cour traîtresse méritait bien d’être poursuivie, on (c’est-à-dire la fraction cordelière et robespierriste des Jacobins) eut soin de jeter indirectement contre l’excellent côté gauche de l’Assemblée législative les accusations les plus étranges. Alors on vit quelques personnes vouloir parler, parler sans cesse, exclusivement parler, non pour éclairer les membres de l’agrégation mais pour jeter entre eux des semences de division, et surtout pour être
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