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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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bout, se trouvait la porte d’un appartement. Legendre se dirigea vers celui de gauche, d’où s’échappaient à cette heure, par un châssis aux vitres entrebâillées, des odeurs appétissantes. Il tira une poignée terminant une tige en métal et la sonnette retentit.
    « Bonjour, Jeannette, dit-il à la servante qui vint ouvrir. J’amène un de nos collègues à ton maître. Où est-il?
    — Dans le salon, avec les citoyennes. Vous connaissez le chemin. J’ai du lait sur le feu. »
    Elle regagna vivement sa cuisine tandis que Legendre, traversant la petite antichambre obscure, passait devant la porte d’une salle à manger et menait Claude vers le salon. Une femme s’avança, assez grande, brune de cheveux et d’yeux, avec une bouche charnue, le teint clair. Claude lui donna un peu moins de trente ans. Agréablement mise, elle venait en tenant, avec une simplicité de ménagère, un bol dans lequel elle écrasait quelque chose au moyen d’une cuiller. Legendre nomma Claude et la nomma : M lle Evrard. C’était la compagne de Marat. Il vivait avec elle, chez elle. Ils s’étaient mariés devant l’Être Suprême, sans contrat ni cérémonie. Assise devant un secrétaire, une autre femme, sèche, aux traits durs : la sœur de Marat, Albertine, vérifiait des factures qu’il réglait à un jeune homme, sans doute son marchand de papier. L’ami du peuple, dans son négligé habituel, portait avec des bottes, sans bas, une vieille culotte de peau, une veste de taffetas blanchâtre, une chemise ouverte sur la poitrine et quelque peu crasseuse ou salie par les onguents. Mais autour de lui le salon, vaste, bien éclairé par deux fenêtres donnant sur la rue, ne manquait ni de propreté ni même de luxe, avec son ottomane et ses fauteuils de damas bleu et blanc, ses rideaux relevés en draperies, son lustre de cristal. Sur la cheminée où brûlait un feu vif, de grands vases en porcelaine étaient pleins de fleurs, fort chères en cette saison.
    Simone Evrard expliqua qu’elle préparait un nouveau genre de potion prescrite au malade Marat par le médecin Marat : de l’eau de mauve où elle faisait dissoudre des cubes d’argile. Il la goûta tout en venant saluer ses collègues, tandis que sa sœur raccompagnait le jeune homme. « Ajoute un peu d’argile, ma chère amie. » Puis, prenant Claude par le bras : « C’est bien aimable à toi, et bien courageux, de visiter un proscrit. Je ne te ferai pas l’injure de croire que tu viens parce que tu as un service à me demander, mais si cela était je serais heureux de te le rendre.
    — Merci. Ce qui m’amène, c’est seulement l’envie de parler avec toi des intérêts de la république.
    — Alors, laissons Legendre tenir compagnie aux dames. Allons par ici. »
    Il emmena Claude dans une chambre voisine : grande pièce à deux fenêtres elle aussi, tendue, selon la mode, de papier tricolore parsemé d’emblèmes révolutionnaires. Les croisées, comme celles du salon, étaient faites non point de petits carreaux mais de grandes vitres de Bohême. Une main dans sa chemise, Marat se grattait par intervalles pendant que Claude lui exposait ses idées au sujet du roi. « Je te l’avoue, citoyen, je répugne à placer le berceau de la nation nouvelle sur l’échafaud d’un souverain déjà détruit. Sa mort me paraît inutile, dangereuse même, car ce serait un acte de vengeance, une concession à la démagogie. Si nous entrons dans cette voie, où n’irons-nous pas ? Quelles têtes ne finiront-elles point par tomber à leur tour sous le couteau ? L’avènement de la République a coûté beaucoup de sang, ne crois-tu pas qu’elle-même doit rester sans tache, pour être aimée sans remords ? »
    L’ami du peuple, les cheveux luisants, les yeux très noirs, la bouche en balafre, écoutait, dressant la tête. La boucle d’or brillait à son oreille. « Je reconnais ton âme, Mounier-Dupré, dit-il. Mais viens voir ! » Il le fit entrer dans un cabinet attenant : un réduit carrelé de terre cuite, avec, sous la fenêtre, la baignoire de cuivre rouge sombre en forme de sabot où Marat prenait ses longs bains médicamenteux. Le papier de tenture figurait des colonnes sur un fond crème. D’un côté, il y avait au mur une carte de la France divisée en départements, de l’autre deux pistolets pendaient sous une inscription en grosses lettres : LA MORT .
    « J’y suis voué, dit Marat, depuis le jour où je suis

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