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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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descendu dans l’arène politique. Je lui appartiens, et toi aussi. Tous les révolutionnaires lui appartiennent. Pour lui échapper encore une fois, il m’a fallu, la semaine dernière, me dérober de nouveau dans mon souterrain, comme au temps de Necker et de La Fayette. Pourquoi donc me soucierais-je d’éviter au ci-devant monarque un destin que l’on me prépare à moi-même ? Songe-t-on que moi aussi j’aime et je suis aimé, que j’ai une femme, une sœur ? La faction Roland veut ma mort. Si elle ne l’a pas obtenue, ce n’est pas sa faute. »
    C’était vrai. Déjà rossé, sur le Pont-Neuf, par Westermann qu’il accusait de trahir avec César-Dumouriez, Marat se trouvait maintenant en butte à la rage de son ancien admirateur Barbaroux, des Marseillais et des dragons de la République. Il les traitait d’aristocrates. Furieux, ils excitaient contre lui la haine et l’horreur qui ne manquaient point dans Paris à l’égard du pamphlétaire implacable, du « monstre » auquel plus de cent familles reprochaient le sang d’un père, d’un frère, d’un fils, d’un époux massacrés en septembre. On venait de le brûler en effigie au Palais-Égalité. Dans les cafés, sous ces mêmes arcades, de larges placards le représentaient pendu. La semaine dernière, un soir, une bande de dragons et de fédérés marseillais avait défilé ici, devant la maison, en criant : « À mort ! À la lanterne ! À la guillotine ! Au feu ! » Malgré ses messages pressants aux Jacobins, ceux-ci ne s’étaient point émus. Seule, la Commune avait envoyé des commissaires pour rétablir l’ordre. Depuis, l’effervescence semblait un peu calmée. Il était sorti de son mystérieux refuge (une cave communiquant avec les Catacombes, racontait-on, où il se terrait en compagnie des squelettes). Cependant il ne se hasardait pas encore dans les rues ni à la Convention dont on prétendait l’exclure. Les Brissotins y réclamaient sans cesse un décret d’accusation contre lui.
    « Pour Louis Capet, reprit-il, je n’ai rien de personnel à son endroit. La question de son sort est posée par le peuple, et il ne peut y avoir qu’une réponse.
    — Non, protesta Claude. La nation n’exige pas la mort de l’homme-roi, je ne le crois point. Ce sont les jeunes factieux du clan Brissot, les démagogues avides, comme Hébert, qui lui persuadent qu’elle la veut. Ce sont tes propres rivaux, les Jacques Roux, les Varlet, les Leclerc d’Oze. Pourquoi t’associes-tu à eux ? Ils te visent en même temps que Louis XVI. Mais tu es assez fort pour les vaincre. Toi seul as le pouvoir de dire au peuple qu’ils le trompent sur lui-même et l’égarent. Toi, il t’écoutera. »
    Marat secoua la tête. « Tu me prêtes trop d’influence. Le peuple m’appelle son prophète, mais il ne m’a jamais entendu. Il ne bouge même pas pour me défendre. Depuis mon élection, il m’abandonne, je ne sais pourquoi. Après quarante mois de lutte révolutionnaire, je me trouve plus isolé, plus chétif que jamais. Le peu de crédit qui me reste, j’achèverais de le perdre si je montrais de l’indulgence envers un personnage que tout condamne. Tu as dit des choses justes à propos de mes ennemis, et je ne désire pas personnellement le supplice de Capet, mais il doit périr, car tant qu’il vivra la question de la royauté ne sera pas tranchée. Si cette mort entraîne la mienne, tant pis ! »
    Oui, sans doute, même vaincu le roi restait un symbole. C’est pourquoi tant de citoyens – en province, dans les filiales jacobines, dans les municipalités, comme à Paris dans les sociétés populaires, dans les sections – demandaient sa destruction également symbolique. C’était l’avis de Dubon, peu sanguinaire pourtant. Cela pouvait se soutenir et se discuter. Mais personne ne voulait discuter, parce que chacun craignait d’y perdre sa popularité au profit de ses adversaires. De même que les jeunes Brissotins redoutaient, en cédant à la sensibilité, de laisser à leurs bêtes noires l’initiative et le profit du jugement du roi, de même Robespierre ou Danton ne pouvaient pas se laisser dépasser en rigueur jacobine par les jeunes Brissotins. Quant à Marat, peut-être se fût-il montré moins convaincu si, comme il l’avouait naïvement, il n’eût craint des rivaux dont le crédit grandissait aux dépens du sien : Chaumette, Momoro, l’ex-prêtre Jacques Roux : le Prédicateur des Sans-Culottes,

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