Les autels de la peur
eut un ricanement derrière Claude. Legendre lui chuchota à l’oreille : « Tu vois ! N’avais-je pas raison ? Garderas-tu encore de la pitié pour un tel fourbe ? » Barère se raclait la gorge et demandait, dédaigneux, glacial : « Louis, avez-vous quelque chose à ajouter ?
— Je désire une copie des accusations que je viens d’entendre et des pièces jointes. Je demande la faculté de choisir un conseil pour présenter ma défense.
— L’assemblée en délibérera. La Convention nationale vous permet de vous retirer dans la salle des conférences. »
Santerre prit le roi par le bras et le conduisit. Sitôt la porte refermée, le tumulte éclata. Dans les hauteurs de la gauche, derrière Claude, Billaud-Varenne, le jeune Tallien en bonnet rouge protestaient furieusement contre la demande d’un conseil. Chabot, Merlin le moustachu s’écriaient qu’on allait encore différer le jugement. Au centre Treilhard : l’ancien président du tribunal criminel, à droite Pétion défendaient avec force cette demande. « Comme s’il s’agissait d’un procès ordinaire ! glapit Marat. Nous embarrasserons-nous de ces chicanes de Palais ! Le sort de Louis est réglé. » La dispute gagnait de banquette à banquette. Les tribunes et les galeries, prenant parti, vociféraient. Legendre et Bourdon de l’Oise s’étaient saisis au collet. Dans la piste, les fougueux Rolandistes, descendus des escarpements de la droite, s’élançaient pour escalader les étages de la gauche. Au bureau, Barère, debout, le chapeau sur la tête, agitait sa sonnette à tour de bras. Les inspecteurs en habit noir couraient çà et là, s’efforçant de rétablir l’ordre.
Dans la salle des Feuillants, éclairée seulement par quelques quinquets, le roi attendait avec Chambon, Chaumette et, autour d’eux, des grenadiers dont les armes luisaient dans la pénombre. Un reste du triste jour d’hiver grisaillait encore vaguement aux fenêtres. Il allait être cinq heures. Depuis neuf heures du matin, Louis n’avait rien absorbé. Il défaillait de fatigue et de faim. Le maire s’en aperçut et lui offrit de prendre quelque chose. Il refusa. On lui avait trop fait grief de son appétit. Mais bientôt, comme des grenadiers qui mangeaient, debout, taillant leur pain de munition, proposaient une moitié de celui-ci à Chaumette, le roi, vaincu par la nécessité, s’approcha du procureur de la Commune en quémandant à voix basse, honteuse, un morceau de ce pain. Chaumette eut un mouvement de recul. « Demandez tout haut ce que vous voulez, monsieur.
— Je vous demande un morceau de votre pain, dit Louis, élevant la voix.
— Volontiers. Tenez, rompez donc. C’est un repas de Spartiate. Si j’avais une racine, je vous en donnerais la moitié. »
Santerre revint et annonça que l’on pouvait partir. La cour était remplie de peuple, des gens de la Halle surtout et des charbonniers. Ils se mirent à crier : « Vive la nation ! Mort au tyran ! » puis entonnèrent le refrain de la Marseillaise. Sans paraître entendre, le tyran remonta en voiture avec le maire, le procureur de la Commune et Colombeau. On partit au pas. Louis mangeait lentement son quignon. Il cherchait à se débarrasser de la mie dont il ne voulait pas. Colombeau la prit et la lança par la portière. « Ah ! c’est mal de jeter ainsi du pain ! se récria le roi, surtout dans un moment où il est rare.
— Et comment savez-vous qu’il est rare ? demanda Chaumette.
— Parce que celui-ci sent un peu la poussière.
— Ma grand-mère, observa rêveusement le procureur-syndic, me disait toujours : petit garçon, il ne faut pas perdre une mie de pain, vous ne pourriez en faire venir autant.
— Monsieur Chaumette, votre grand-mère était, à ce qu’il paraît, une femme de grand sens. »
La voiture, avec son escorte de chaque côté, allait lentement entre deux haies de visages éclairés par les réverbères et les devantures des boutiques. Il y avait peu de cris. Parfois, dans le bruit des roues, des pas, des fers, des tressautements des canons sur le pavé, on entendait chanter le dernier vers du refrain de la Marseillaise : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! » Les glaces restaient baissées, il faisait froid. Chaumette s’était renfoncé contre la banquette, dans le noir. On ne distinguait plus les traits de sa grosse tête aux cheveux tombants. Au bout d’un moment, il murmura qu’il ne se sentait
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