Les autels de la peur
faisait un devoir de défendre la monarchie puisqu’elle en posait le principe. Claude espérait le voir adopter ce parti. Avec de la franchise et de l’habileté, il fournirait là le meilleur soutien à ceux qui, dans toute la Plaine, parmi les sages de la Gironde, voire sur la Montagne, désiraient plus ou moins secrètement lui sauver la tête. Mais Louis XVI n’avait jamais eu de politique, et c’était bien ce que lui reprochait Saint-Just. Il n’avait jamais été que l’homme des velléités, des vagues espérances et des résistances incohérentes. Il répondit avec la même maladresse, la même incapacité qu’il avait mises dans tous ses actes de roi. Comme Barère lui demandait : « Pourquoi avez-vous, le 23 juin 1789, à Versailles, entouré l’Assemblée de troupes et voulu dicter des lois à la nation ? » il répliqua stupidement : « Il n’y avait pas de loi qui me le défendît. J’étais maître de faire marcher des troupes. Mais je n’ai pas voulu verser le sang. » Oui, il ne savait pas s’expliquer, Pétion le disait au retour de Varennes : le sentiment de son inaptitude à exprimer une idée un peu difficile le paralysait, le poussait aux paroles de première venue, aux réponses simplistes. C’était tout de même décourageant, cette espèce de génie de dire ou de faire toujours ce qu’il ne fallait pas et jamais ce qu’il fallait, d’accumuler les impairs, de comprendre trop tard et de provoquer le pire, comme le jour où Claude avait voulu épargner à la reine de voir ce que l’on promenait sous les fenêtres du Temple. Un don tragique, oui, pitoyable mais vraiment décourageant.
Pour les autres questions, ou bien le malheureux déclara n’avoir pas eu connaissance des faits ou ne s’en point souvenir, ou bien il en rejeta la responsabilité sur les ministres, sur la Constitution qui lui donnait le droit de s’opposer aux décisions de l’Assemblée par le veto. Là, depuis longtemps, Vergniaud, alors implacable, l’avait condamné d’avance. Ô roi qui avez cru avec le tyran Lysandre… la Constitution vous laissa-t-elle le choix des ministres pour notre bonheur ou pour notre ruine ? Vous fit-elle chef de l’armée pour notre gloire ou pour notre honte ? Vous donna-t-elle enfin tant de grandes prérogatives pour perdre constitutionnellement la Constitution et l’empire ? Cette apostrophe résonnait encore ici. Vergniaud regrettait-il à présent de l’avoir lancée ?
Enfin, en ce qui concernait ses actes antérieurs, Louis invoqua – avec raison, en droit, et avec maladresse, en fait, car par là même il se reconnaissait coupable – l’amnistie prononcée en septembre de l’année précédente par l’Assemblée constituante. Sur le reproche d’avoir distribué des millions de livres pour acheter des consciences et préparer une contre-révolution, il se défendit encore plus mal. « Je n’avais pas de plus grand plaisir, dit-il, que de donner à ceux qui ont besoin. Ce que j’ai fait alors n’avait trait à aucun projet. » Justification puérile dont le ton même sonnait faux. Claude, déçu, irrité une fois de plus, tambourinait sur son genou. Il ne trouva chez le roi qu’un seul mouvement de véritable émotion, un seul accent sincère. Ce fut pour repousser l’accusation d’avoir provoqué le massacre du Champ de Mars et celui des Tuileries au 10 août. « Non, monsieur, s’écria-t-il avec force, non, ce n’est pas moi. » Sur trop d’autres points, ses faux-fuyants rappelaient irrésistiblement le jésuitisme du souverain qui donnait sa parole à La Fayette et Bailly avec l’intention de ne la point tenir, qui affirmait devant l’Assemblée nationale son attachement à la constitution civile du clergé et la désavouait en même temps par une lettre secrète aux évêques.
L’interrogatoire était terminé. On avait depuis plus d’une heure allumé les lustres. Valazé, qui était en cette période un des secrétaires, prit les pièces sur le bureau, les déposant une à une sur la tablette devant le roi. Celui-ci les examinait, il les rejeta presque toutes en se refusant à les reconnaître. Il nia les documents écrits de sa main. Il nia l’existence de l’armoire de fer qu’il avait fait creuser, dont il avait forgé lui-même la porte. Le silence « des tombeaux » régnait sur le Manège, on n’entendait plus une toux ni un remuement de pieds : rien d’autre que ces dénégations insensées.
Il y
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