Les autels de la peur
l’héroïque courage contre les rois, et ne concevra jamais l’asservissement à une poignée de scélérats qui le déchirent par les mouvements convulsifs de leur ambition et de leur fureur ! Qui pourrait habiter une cité où régneraient la terreur et la mort ?… Vous frémissez, citoyens ! Ô ma patrie ! je demande acte à mon tour des efforts que je fais pour te sauver de cette crise déplorable. »
Claude était lui-même trop orateur pour ne point goûter cette éloquence, mais il ne voyait là au total que de la sensibilité et du lyrisme. Au complot supposé par Robespierre, Vergniaud opposait un complot supposé de Robespierre et de la Montagne. Sur ce point, les deux discours se valaient : calembredaines l’un et l’autre. Quant au reste, Vergniaud n’avait en rien ébranlé la solide dialectique de Maximilien et de Saint-Just. Il n’armait d’aucune raison, en Claude, le parti de l’humanité.
Des discours, de Brissot – insistant, comme président du comité diplomatique, sur la nécessité de ménager l’opinion des peuples étrangers : « Dans nos débats, nous ne voyons pas assez l’Europe » –, de Pétion qui voulait visiblement épargner Louis, ne fournirent pas davantage de raisons. Enfin Gensonné, dans une apostrophe brillante et irritante, montra par trop que, pour une partie de la droite, le procès de Louis XVI était en fait une machine de guerre contre la Montagne. « Il est, dites-vous, un parti qui veut enlever de Paris la Convention et faire égorger les citoyens par les citoyens. Tranquillisez-vous, Robespierre. Vous ne serez pas égorgé, et je crois même que vous n’égorgerez personne. Je crains seulement que ce ne soit là le plus cuisant de vos regrets. L’amour de la liberté a aussi ses tartufes, on les reconnaît à leur adresse à caresser les préjugés et les passions du peuple. Il est temps de les signaler à la nation entière. Ce sont eux qui règnent aux Jacobins, et leurs chefs siègent parmi nous. » Il parla du roi uniquement pour dire : « Il ne faut pas que le jugement de Louis passe aux yeux de l’Europe pour l’œuvre de cette faction. Le peuple seul sauvera le peuple ! »
Après la séance, Claude, qui était resté un moment à causer avec ses collègues de la Haute-Vienne – presque tous, sauf Gay-Vernon, plus ou moins girondistes – vit, en partant par la Carrière, Panis sortir dans les lumières du café Hottot avec le colonel Gasparin, député des plus obscurs. Panis se frottait vivement les mains. « Quel froid ! » dit Claude en passant. Il gelait, en effet. Les haleines se condensaient dans la nuit humide. « Oui, oui, mais il fera chaud pour quelques-uns, demain », répliqua le beau-frère de Santerre. « Et d’abord pour Gensonné, ce coquin présomptueux. On va lui rabattre le caquet.
— Ah bah ! Et comment donc ?
— Tu verras, mon ami, tu verras. C’est une surprise. »
Les initiatives de ce brave Panis ne promettaient ordinairement rien de bien fameux. Claude souhaita qu’il en fût autrement, pour une fois. Gensonné, Guadet, Barbaroux, tous ces enragés de la droite, qui, par leur intolérance, compromettaient la cause commune, en arrivaient à l’irriter bien plus qu’autrefois leurs prédécesseurs : les royalistes noirs. Dieu sait pourtant s’il avait eu de la sympathie pour l’élégant, le spirituel Guadet, non moins tiré à quatre épingles que Robespierre, et plus engageant, plus naturel. Et pour Gensonné, pour Vergniaud. Mais aussi pourquoi combattaient-ils à présent ceux qui avaient été leurs frères d’armes, pourquoi paralysaient-ils la Convention !
Dès l’ouverture de la séance, le lendemain, Gasparin, montant à la tribune, révéla une horrible collusion des trois députés de Bordeaux avec la Cour, à la veille du 10 août. Il en tenait la preuve du peintre Boze, son ami. C’est ainsi que Claude apprit l’ultime tentative des Girondins pour conserver la monarchie : tentative répétant le non moins vain effort accompli, après Varennes, par Barnave, Duport, Lameth. En vérité leurs successeurs ne s’étaient pas compromis. La bombe dont le candide Panis attendait tant d’effet ne fut même pas un pétard, malgré les clameurs orchestrées des Montagnards criant à la trahison, à l’infamie. Vergniaud n’eut aucune peine à rétablir les faits. Gasparin dut reconnaître qu’il s’agissait en tout et pour tout d’une note demandée par Boze pour
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