Les autels de la peur
été touché, moi aussi, reconnut Maximilien, j’ai senti chanceler dans mon cœur la vertu républicaine. La suprême exigence du dévouement que l’on doit à la patrie, c’est d’étouffer en nous la révolte de la sensibilité. » En conclusion, il demanda que la Convention, déclarant Louis coupable et digne de la mort, passât purement et simplement à l’ordre du jour sur le projet d’appel au peuple, « dont le résultat immédiat serait de plonger le pays dans le chaos de la guerre civile ».
À la tribune des Jacobins, il fut plus virulent encore. N’hésitant pas à nommer les factieux (selon lui), il s’écria : « Je dis que les Vergniaud, que les Brissot, que les Gensonné, que les Guadet et tous les coquins de cette espèce, n’appellent point au peuple mais à tous les aristocrates, à tous les Feuillants qu’ils rallient sous leur bannière. »
Les journalistes brissotins réagirent vivement. « Robespierre s’est permis les personnalités les plus injurieuses et les plus absurdes », écrivait Gorsas, le lendemain. Le Patriote Français stigmatisait ses « insinuations plus dangereuses que les calomnies ». Au Manège, le perpignanais Birotteau prit la parole pour opposer à la vingtaine de fripons signalée par Robespierre « une vingtaine de ci-devant nobles, quinze à vingt prêtres et une douzaine de juges du 2 septembre, qui prétendent sauver la république et ne sont seulement pas capables d’épargner à la capitale les dissensions, les fureurs, les prétentions et l’anarchie qui la déchirent ». Les ci-devant nobles, c’était, entre autres, Philippe Égalité, le beau Hérault de Séchelles que la chronique scandaleuse avait donné pour amant à Marie-Antoinette, le chevalier Thuriot de la Rozière, compagnon de Dubon au 14 juillet, Le Pelletier de Saint-Fargeau, haut magistrat de la monarchie, ci-devant député de la noblesse aux États généraux, le dernier opposant à la réunion des trois ordres, et maintenant Montagnard. « Mais, ajouta Birotteau, la Convention saura écraser ces pygmées bouffis d’orgueil qui, semblables aux grenouilles des marais, nous forcent à nous apercevoir de leur existence par leurs criailleries. »
Pauvre Birotteau ! La grenouille, c’était bien lui. Nul ne prit la peine de lui répondre. On attendait – et Claude plus que tout autre, car il espérait trouver là des arguments à opposer en lui-même à la nécessité de la mort – on attendait Vergniaud. Mis en cause, il lui fallait bien sortir de l’étrange silence où il s’enfermait depuis le début du procès. Il en sortit en effet pour écraser de son mépris, sans nommer personne, « ces hommes dont, par leur essence, chaque souffle est une imposture, comme il est de la nature du serpent de n’exister que pour la distillation du venin ». De Louis XVI, il ne dit rien. Sur l’appel au peuple, il parut à Claude très faible. Si l’on ne redoutait pas la guerre civile en demandant la convocation des assemblées primaires pour ratifier la Constitution, il n’y avait pas lieu, assurait-il, de craindre davantage en leur soumettant la question du roi. Raisonnement absurde. Entre la sanction d’un texte qui n’eût passionné personne, et la formidable, l’enfiévrante alternative devant laquelle on mettrait le peuple, aucune comparaison n’était possible. Le problème agitait déjà dangereusement la Convention et Paris. Que serait-ce si on le proposait aux quarante-quatre mille sections de la république !
« Notre Vergniaud, chuchota Claude à l’évêque Gay-Vernon, doit être, au fond de lui-même, peu convaincu. »
Du haut de la tribune, dans la lumière des lustres et des quinquets où ressortait son visage mat, grêlé, aux traits mollement agréables, il poursuivait : « Si quelqu’un provoque à la guerre civile, ce n’est pas cette majorité que l’on vous dit composée d’intrigants, de royalistes, d’aristocrates, mais une minorité de scélérats. Citoyens, il n’est pas vrai que la vertu soit en minorité, sur la terre. Catilina fut en minorité dans le sénat romain, et si cette minorité eût prévalu c’en était fait de Rome. Dans l’Assemblée constituante, Maury, Cazalès furent en minorité, et s’ils avaient prévalu, c’en était fait de vous !… Oui, ils veulent la guerre civile ceux qui, en prêchant l’assassinat des partisans de la tyrannie, appliquent ce nom à toutes les victimes que leur haine
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