Les autels de la peur
veut immoler, ceux qui appellent les poignards sur les représentants de la nation, ceux qui veulent que la minorité devienne arbitre de la majorité, puisse légitimer ses jugements par des insurrections, et que les Catilina soient appelés à régner dans le sénat. Ils veulent la guerre civile, ceux qui prêchent ces maximes et pervertissent le peuple en accusant la raison de feuillantisme, la justice de pusillanimité, la sainte humanité de conspiration. »
La sainte humanité ! Claude admira le mot. Ah ! comme ici Vergniaud touchait juste ! Claude le savait bien, par lui-même, que seul le sentiment de l’humanité poussait des hommes de partis très différents à vouloir épargner le roi. Il n’existait au Manège d’autre conspiration que celle de la pitié.
« Puisqu’on parle continuellement d’un grand acte politique, continuait Vergniaud, examinons la question sous ce rapport. Si la condamnation de Louis XVI n’est pas la cause d’une nouvelle déclaration de guerre, il est certain du moins que sa mort en sera le prétexte. Vous vaincrez ces nouveaux ennemis, sans doute, mais l’accroissement de la guerre amènera un surcroît d’efforts, de sacrifices, de deuils. Si la guerre force à des émissions multipliées d’assignats, qui feront monter dans une proportion effrayante le prix des denrées, si elle porte de mortelles atteintes au commerce, si elle décime nos campagnes, si elle répand des torrents de sang sur le continent et sur les mers, quels services aurez-vous rendus à la patrie ? Quelle reconnaissance vous devra-t-elle pour avoir exercé en son nom, et au mépris de sa souveraineté, une vengeance devenue la cause de tant de calamités ? J’écarte toute idée de revers. Oserez-vous cependant lui vanter vos victoires ? On ne verra pas une famille qui n’ait à pleurer un père ou un fils, les champs, les ateliers seront déserts, vos trésors écoulés appelleront de nouveaux impôts, le corps social, fatigué des assauts que lui livreront au-dehors les ennemis coalisés, au-dedans les factions, tombera dans une langueur mortelle. Craignez qu’au milieu de ses triomphes la France ne ressemble à ces monuments fameux qui, dans l’Égypte, ont vaincu le temps. L’étranger qui passe s’étonne de leur grandeur. S’il veut y pénétrer, qu’y trouve-t-il ? Des cendres et le silence des tombeaux. »
Évoquant alors la façon dont Cromwell, poussant d’abord le peuple contre le roi, puis contre le parlement lui-même, jugula ensuite la nation et s’empara du suprême pouvoir, Vergniaud ajouta : « N’entendez-vous pas, tous les jours, dans cette enceinte et dehors, des hommes crier avec fureur : Si le pain est cher, la cause en est au Temple. Si le numéraire est rare, si nos armées sont mal approvisionnées, la cause en est au Temple. Si nous avons à souffrir chaque jour du spectacle de la misère et du désordre public, la cause en est au Temple ! Ceux qui tiennent ce langage savent bien cependant que la cherté du pain, la disparition de l’argent, la mauvaise administration des armées, la nudité du peuple et de nos soldats, tiennent à d’autres causes. Quel est donc leur dessein ? Qui me garantira que ces mêmes hommes qui proclament partout la nécessité d’une nouvelle révolution, qui font déclarer telle ou telle section en état d’insurrection permanente, qui disent, à la Commune : « Lorsque la Convention a succédé à Louis nous avons seulement changé de tyran », qui ne parlent que de complots, de mort, de traîtres, de proscriptions ; qui me garantira, dis-je, que ces mêmes hommes ne crieront pas, après la mort de Louis : Si le pain est cher, si le numéraire est rare, si nos armées sont mal approvisionnées, la cause en est dans la Convention. Si les calamités de la guerre se sont accrues par la coalition de l’Angleterre et de l’Espagne, la cause en est dans la Convention qui a provoqué ces nouvelles hostilités par la condamnation précipitée de Louis XVI ? Qui me garantira que, dans cette nouvelle tempête, où l’on verra ressortir de leurs repaires les tueurs de Septembre, on ne vous présentera pas, tout couvert de sang, ce « défenseur », ce chef que l’on dit être si nécessaire ? Un chef ! ah ! si telle était leur audace, il ne paraîtrait que pour être à l’instant percé de mille coups ! Mais à quelles horreurs ne serait pas livré Paris ! Paris dont la postérité admirera
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