Les autels de la peur
discours en déclenchant encore une manœuvre. On s’y attendait depuis quelques jours. On en parlait beaucoup, aux Jacobins, avec colère. « La faction, déclaraient les Robespierristes, veut nous plonger dans la guerre civile. » Il s’agissait d’un appel au peuple, comme il s’en était agi en juillet de l’année précédente – pour aboutir au massacre du Champ de la Fédération. Les modérés refusaient alors ce recours aux assemblées primaires. Ceux qui le réclamaient violemment : Cordeliers, Jacobins, sociétés populaires, en repoussaient cette fois, et non moins violemment, l’idée. À peu près seul, Claude ne variait pas. Il était aujourd’hui contre l’appel au peuple, pour la même raison qu’il l’avait été en juillet 91 : parce que, dans un moment critique, la réunion des assemblées primaires devait nécessairement déchaîner dans le pays le choc des passions et, par là, des troubles redoutables.
Les modérés dont on eût le moins attendu pareille imprudence, et tout d’abord l’ex-médecin Salle, montèrent à la tribune pour proposer et justifier l’appel. Certes, dit Salle, Louis méritait toutes les sévérités, mais il appartenait à la nation elle-même de se prononcer sur une question grosse, de toute façon, des plus graves conséquences. En effet, l’absolution serait une cause éternelle de discordes : elle entraînerait peut-être des révoltes et fournirait assurément prétexte aux agitateurs, comme les lenteurs du tribunal extraordinaire avaient servi de prétexte aux assassins de septembre. La condamnation, elle aussi, provoquerait d’autres troubles, de la part d’autres agitateurs. En outre, les tyrans de toute l’Europe n’attendaient que cette occasion pour fondre sur la France. Celle-ci, dans les souffrances et les deuils d’une longue guerre, ne reprocherait-elle pas amèrement à ses représentants l’acte qui l’y aurait précipitée ? Dans une telle alternative, c’était à la nation de décider directement. Qu’elle fixât elle-même son sort en fixant celui du ci-devant roi.
Buzot, Rabaut-Saint-Étienne soutinrent cet avis, Rabaut avec des paroles qui touchèrent vivement Claude, car elles exprimaient son propre sentiment. « Quant à moi, je suis las de ma portion de despotisme. Je suis fatigué, harcelé, bourrelé de la tyrannie que j’exerce pour ma part, et je soupire après le moment où vous aurez créé un tribunal qui me fasse perdre les formes et la contenance d’un tyran. »
Salle, l’année précédente, après l’hécatombe du Champ de Mars, avait demandé l’établissement d’une commission pour juger les instigateurs des troubles, visant par là les Cordeliers et les Robespierristes. Maximilien, ayant pris le temps d’écrire son discours avant d’intervenir dans le présent débat, ne laissa point échapper ce fait. Au contraire, il le souligna et en conclut : « Sous des nuances différentes, les mêmes passions et les mêmes vices nous conduisent par une pente semblable vers le même but. »
De plus en plus convaincu que le parti de Brissot conspirait à rétablir la monarchie, Robespierre attaqua sans aucun ménagement. Il dénonça le plan de ses adversaires, leur secrète pensée. Retournant l’accusation lancée par eux contre lui au début du mois, il n’hésita point à dire, de sa voix acide : « Oui, il existe un projet d’avilir la Convention nationale et de la dissoudre peut-être à l’occasion de cette interminable affaire. Il existe non pas dans ceux qui réclament avec énergie les principes de la liberté, non pas dans ceux qui sont les dupes d’une intrigue fatale, mais dans une vingtaine de fripons qui font mouvoir tous ces ressorts. Ils se taisent sur les plus grands intérêts de la patrie, ils s’abstiennent de prononcer leur opinion sur le dernier roi (Vergniaud, là, était directement visé). Leur sourde et pernicieuse activité produit tous les troubles qui agitent la patrie, et, pour égarer la majorité saine mais souvent trompée, ils qualifient les plus chauds patriotes de minorité factieuse. Citoyens, la vertu fut toujours en minorité, sur la terre. Hampden et Sidney étaient de la minorité, ils expièrent sur l’échafaud. Les Critias, les César, les Clodius étaient de la majorité. Socrate était de la minorité, il but la ciguë. Caton était de la minorité… En présence du coupable humilié ici devant la puissance du peuple souverain, j’ai
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