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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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du temps.
    — Allons donc ! Tu parles comme Jean. Quel que soit le temps, il y aura toujours des hommes nantis de pouvoirs, de richesses, et avides d’en jouir. Les femmes comme moi leur sont indispensables. Je ne crains rien, hormis la vieillesse. Heureusement, elle est encore loin de moi. » Elle se leva, se fit admirer, souple, féline, en s’admirant elle-même dans le haut miroir encastré dans des rinceaux entre les fenêtres. Elle tendit les mains à Bernard : « Viens, mon cœur, nous allons au théâtre. Je joue, avec George. Ensuite, il y aura un souper. Et après, sait-on ! » acheva-t-elle avec un de ses regards ensorcelants. Il n’y avait point à s’étonner qu’elle fît courir Paris.
    Sur la scène, Bernard put le vérifier, elle montrait le même naturel, le même génie du ton, des expressions, du geste, que dans l’intimité. Elle vivait son rôle, comme elle jouait sa vie. Après la représentation, on revint rue de l’Université où l’on soupa au champagne, dans une débauche de lumières et de fleurs. Clootz n’avait point paru et Bernard comprit pourquoi Babet l’avait invité, lui, précisément ce jour-là. Mais lorsque les convives se furent levés, il s’inclina devant elle, la remercia, lui demanda la permission de prendre congé. Il vit sa surprise, puis elle battit des cils et le regarda fixement.
    « Je ne te comprends pas, Bernard.
    — Ma chère, tu me flattes, dit-il en souriant. Tu es très belle, tu es terriblement tentante. Justement. Tu connais ma vieille jalousie. Moins que jamais je ne voudrais te partager. »
    En vérité, elle ne le tentait pas du tout, malgré sa splendeur charnelle. Il mentait pour ne la point blesser parce qu’il gardait d’elle trop de charmants souvenirs. C’est pourquoi il était resté jusqu’à maintenant, quoiqu’elle-même et tous ces gens, ces manières, ce luxe lui déplussent fort. Il songeait à ses parents quasi ruinés, à Thérèse Naurissane si digne dans la solitude de son hôtel désert et froid, au dénuement des soldats privés de tout, avec pour seules perspectives le péril, les mutilations, la mort. La Révolution imposait-elle donc de telles épreuves et de si lourds sacrifices au plus grand nombre, pour que des privilégiés – encore des privilégiés ! – menassent cette existence insolente ! Et comment en finirait-on avec l’égoïsme, quand certains de ceux qui auraient dû faire les lois pour le détruire se comptaient parmi les jouisseurs ?
    « Écoute, Sage, dit Bernard au frère de Babet en sortant, tu es embarqué dans une fichue galère. Quitte cette maison, ce n’est pas la place d’un citoyen qui a eu assez de patriotisme pour s’engager. Si tu veux, je t’emmène. Il va me falloir un homme d’ordonnance. Domestique pour domestique, au moins tu serviras la patrie.
    — Et je crèverai de faim. Merci bien, général.
    — À ton aise. Si tu changes d’avis, viens me voir. On sait ici où je loge. Si je suis parti, tant pis pour toi. »
    Lorsque Bernard rentra rue Saint-Nicaise, la nuit était fort avancée. Il pensait trouver la maison endormie, au lieu de quoi il eut la surprise de découvrir ses amis debout. Ils arrivaient juste de la cour du Commerce, Lise avec les yeux rouges et gonflés. La pauvre Gabrielle-Antoinette venait de mourir, sans avoir revu son Danton.

XII
    Il descendit de voiture devant chez lui six jours plus tard, sonna joyeusement à sa porte, s’impatienta parce qu’on tardait à répondre. Enfin, on ouvrit. Dans la pénombre de l’antichambre, l’air qu’il vit à Marie Fougerot le frappa d’un affreux pressentiment. « Eh bien, qu’est-ce qu’il y a ? Parle ! »
    La servante éclata en sanglots, se cachant le visage dans son tablier. Tout ce que Danton pouvait entendre, c’était : « Ah ! Madame ! Ah ! pauvre Madame !
    — Parle, répéta-t-il avec un calme étrange. Voyons, explique-toi. »
    Balbutiant, la voix coupée par des gémissements et des larmes, elle lui apprit peu à peu que dans la nuit du dimanche au lundi Madame était morte comme le petit enfant qu’elle venait de mettre au monde. La fièvre l’avait emportée. Jusqu’au dernier moment, elle avait parlé de Monsieur, tendu l’oreille en espérant l’entendre. En mourant, elle regardait encore la porte par laquelle il aurait pu entrer. M. et M me  Charpentier n’arrêtaient pas de pleurer, et avec eux tous les amis qui étaient là. Le petit Antoine réclamait

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