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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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partout, cette fois, avec les manières républicaines.
    Dans sa chambre au fond du couloir – celle où Claude avait, le 10 août, hébergé les deux gentilshommes rescapés des Tuileries – et qui donnait sur la cour de l’hôtel de Longueville transformée en dépôt de matériel, Bernard découvrit effectivement un pli. Il ne s’agissait nullement d’une missive officielle. C’était une lettre venue par la Petite poste, scellée de deux jolis cachets de cire bleu ciel. Il les rompit, la déplia et lut avec stupéfaction ces quelques mots :
    « Si le général Delmay se souvient encore du temps qu’il poussait un charreton par les rues de Limoges, et s’il lui plaît de revoir quelqu’un dont la compagnie ne lui déplaisait pas alors, qu’il veuille bien se rendre, après-demain à quatre heures de relevée, au numéro 127 de la rue de l’Université. Il y verra son humble servante,
    « Babet. »
    Il partit d’un grand éclat de rire. Ça, par exemple ! Babet ! C’était trop drôle ! Babet ressortant tout à coup du mystère où elle s’était évanouie il y avait, voyons… eh bien, il devait y avoir un peu plus de trois ans, quatre peut-être. Ou moins ? Cela se perdait non pas dans la nuit des temps mais dans une telle foison d’événements extraordinaires qu’il semblait s’être écoulé des lustres et des lustres depuis lors. Bien entendu, il irait à cette adresse, fort curieux de savoir ce que l’étonnante fille avait pu devenir. Eh, eh ! elle devait commencer à se faire vieille, elle aussi. Vingt-cinq, vingt-six ans. Peut-être allait-il la trouver rangée, mariée, mère de famille. Sans doute vaudrait-il mieux, avant de l’avoir revue, ne point parler à Lise de ce rendez-vous. Elle ne saurait rien de la lettre puisque, à son arrivée, Margot était seule dans l’appartement. Bernard déplia la lunette qu’il venait de s’offrir. Il avait tant regretté, à Valmy et ailleurs, de n’en point avoir. Il l’essaya en examinant l’hôtel de Longueville, le dôme du Louvre sortant par-dessus les toits lointains, recouverts d’une mince couche blanche. Il neigeotait sur Paris. Peu après, Lise rentra, toute rose, les yeux plus bleus, mais l’air inquiet. Elle revenait de visiter la citoyenne Danton, malade. « J’ai bien peur qu’elle ne perde son enfant, dit-elle. Cette pauvre Antoinette ! Je n’aurais pas cru que Danton se conduirait de la sorte avec elle. Il la laisse seule, sans nouvelles. On ne sait trop où il est, en Belgique, en Hollande, à mener on se demande quelle vie. Et sa femme se consume de fièvre. Oh ! elle a près d’elle sa mère, sa sœur, ses servantes, mais ce n’est pas la même chose. »
    Le surlendemain, dimanche, Bernard, connaissant mal Paris, se fit conduire par un fiacre à l’adresse indiquée. C’était presque au croisement de la rue de l’Université et de la rue du Bac. Une porte cochère arrondissait son cintre à l’entrée d’une belle cour sablée où stationnaient plusieurs équipages de maître. Le fiacre s’arrêta devant un perron de trois marches. Un laquais ouvrit la portière, un autre la porte vitrée, un troisième enfin s’avança au-devant du général dans un noble vestibule dallé de noir et blanc, d’où partait sur le côté, en retour, un escalier de marbre. Stupéfait par un tel apparat qu’il croyait aboli, Bernard regardait avec plus d’étonnement encore le domestique qui le saluait.
    « Ma parole ! mais c’est toi, Jean !
    — Oui, citoyen général. »
    C’était le frère de Babet, l’ex-sergent Sage, un des rares volontaires du 2 e  bataillon à l’avoir déserté au camp de Villers-Cotterêts, l’hiver précédent. Il prit le manteau de son ancien camarade, son chapeau à panache tricolore, son sabre. « Du diable si je me serais attendu à te retrouver comme ça, toi, un patriote ! » ne put s’empêcher de dire Bernard. A quoi Sage répondit en haussant les épaules : « Il faut vivre. Ici on est bien logé, bien nourri… tant que ça dure. »
    Sage conduisit le visiteur et l’annonça. Bernard entra dans un salon brillant d’ors, de glaces et de cristaux, tiède comme l’était autrefois en cette saison l’hôtel Naurissane. Les hautes portes-fenêtres donnaient sur les pelouses et les arbres d’un jardin dépouillé par l’hiver. Il y avait là, en plusieurs groupes, une dizaine de personnes : un jeune lieutenant de ligne, des civils parmi lesquels Bernard

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