Les autels de la peur
n’exagérons rien. La monarchie est constitutionnelle, donc on ne démérite pas en la servant. J’ai décliné l’offre, sachant que les ministres auraient les mains liées. Voilà tout.
— C’est bien pourquoi Roland devait refuser. Ou c’est un imbécile, ou il savait lui aussi qu’il serait contraint de faire la politique de la Cour ou celle des Girondistes, peut-être les deux, car je les soupçonne de se confondre, dit sévèrement Momoro. Mais pour le bonheur de vivre dans le palais des Lionne, des Pontchartrain, des Calonne, la Manon Phlipon a oublié qu’elle était hier encore républicaine, qu’elle réclamait l’appel au peuple, la déposition du Roi, l’insurrection.
— Eh ! se récria Fabre, elle n’est pas devenue monarchiste. Et puis, si l’on me reproche de fréquenter chez les Roland, censurez donc avec moi l’ami Mounier-Dupré. Il y va bien, lui.
— Je reconnais mon crime, avoua Claude en riant, encore que je ne le commette plus guère.
— Et Danton, Robespierre, même Camille, on les y voit également.
— Il faut surveiller Brissot et la Gironde dans leur repaire, répliqua Brune. Sois sûr que Danton ne se laissera jamais prendre aux manigances de la femme à Coco.
— Ni Robespierre, ajouta Legendre qui, manifestement, se rapprochait de Maximilien. »
Claude allait partir, lorsque tout à coup Desmoulins apparut dans l’escalier, enjambant les marches deux à deux.
« Hon, hon, bégaya-t-il, tout agité, vous… vous ne savez rien… C’est fait ! J’a… j’arrive du Manège. Dumouriez a lu un… un ultimatum du tyran d’Autriche. Il réclame satisfaction pour les princes allemands possessionnés en Alsace, le retour d’Avignon au pape, enfin la restauration de la monarchie en France sur le pied du 23 juin 89, c’est-à-dire le rétablissement des trois ordres. L’Assemblée s’est levée en rugissant. Dumouriez a… a… annoncé une visite du Roi, demain. Demain, la guerre sera déclarée à François II. »
La nouvelle était trop attendue pour surprendre. Claude, néanmoins, la reçut avec une impression pénible. Au contraire de Dumouriez, de la Gironde et de leurs partisans aux Jacobins, il avait le sentiment que la guerre ne se limiterait pas à des hostilités entre la France et l’Autriche seule. Il fallait être insensé pour le croire.
« Toute la question maintenant, dit-il, est de savoir ce que fera la Prusse. Si elle se met contre nous, et si nous ne sommes pas écrasés, l’Europe entière finira par suivre. »
Il rentra plein d’appréhensions rue Saint-Nicaise où il retrouva Lise. À l’annonce des événements, elle eut ce cri : « Mon Dieu ! Alors Bernard va se battre ! J’espérais malgré tout que cela serait évité. »
Claude et elle allèrent, le lendemain matin, entendre le Roi. Depuis l’automne précédent, Claude retournait au Manège pour la première fois, bien que son poste lui donnât entrée permanente dans la loge du Département. La salle était toujours la même, sombre et triste. Il fut cependant désorienté tout d’abord, car on avait mis à la place l’une de l’autre l’estrade présidentielle et la tribune, tournée face aux couvents, contre le mur du jardin des Tuileries, pour tenter d’améliorer l’acoustique, sans doute. Le vaste vaisseau, que l’on disait quelque peu délaissé d’ordinaire par les députés et par le public, était comble, ce matin. Dans l’assistance, une majorité de femmes. Cela non plus ne changeait pas. À midi juste, avec le cérémonial établi l’année d’avant, le Roi suivi des ministres entra par le couloir des Feuillants et s’assit à côté de l’estimable Bigot de Préameneu qui présidait. « La parole est à M. le ministre des Affaires étrangères », dit-il après avoir agité sa sonnette. Dumouriez, très furet dans sa minceur vive, mais avec un air d’importance, s’établit à la tribune pour lire un long rapport démontrant la nécessité d’un recours aux armes, et rejetant sur l’Autriche la responsabilité du conflit. Puis, dans le silence, Louis XVI déclara, d’une voix un peu embarrassée : « J’adopte une détermination conforme au vœu de l’Assemblée et de plusieurs citoyens des divers départements. Je viens vous proposer formellement la guerre contre le roi de Hongrie et de Bohême. » Les galeries applaudirent, le président renvoya la séance à la relevée, le monarque se retira.
« Il faut être
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